C’est à l’ANRT que l’on doit un rapport très pertinent sur la flexibilité du système électrique français. Ses principaux éléments sont ici repris.

La montée des énergies renouvelables (EnR), c’est-à-dire en pratique de l’éolien et du photovoltaïque, affecte les caractéristiques et le fonctionnement du réseau électrique. Ces sources sont intermittentes, et font appel à deux énergies primaires – le vent et le soleil – qui ne se stockent pas. Ceci crée un besoin beaucoup plus fort de flexibilité pour faire face aux écarts entre l’offre et la demande d’électricité, écarts qui se manifestent avec une amplitude et une fréquence plus grandes, et peuvent obliger les acteurs du système électrique à réagir en temps réel.
Pour autant, il n’est pas possible de transiger avec la sécurité d’approvisionnement dans le contexte de la transition énergétique : comme il arrive que simultanément, sur de vastes étendues, les EnR ne produisent pas d’électricité pendant plusieurs jours, le système électrique finit par se heurter au difficile problème du stockage de longue durée. Il est également essentiel de maintenir la stabilité de la tension et de la fréquence, malgré l’absence d’inertie naturelle de l’éolien et du photovoltaïque. Enfin, il est indispensable de minimiser le coût financier de la transition énergétique, et la flexibilité doit être utilisée pour réduire l’investissement global, alors qu’elle va elle-même en demander.
D’autre part, la production et la distribution d’électricité se décentralisent, sous l’effet des directives européennes, de la multiplication des producteurs d’EnR – surtout le photovoltaïque – et en accord avec un mouvement qui favorise l’autoconsommation et plus généralement des circuits de production plus courts. Les progrès du numérique permettent justement de décentraliser le contrôle et le pilotage des éléments du réseau électrique, et aussi de proposer de nouveaux services.
Le besoin de flexibilité fait donc partie d’un changement plus vaste, mais il concentre un grand nombre des problèmes de la transition énergétique, ainsi que des défis de recherche. C’est pour cela que le groupe de travail de l’ANRT, présidé par Olivier Appert, l’a mis à son programme pour l’année 2020, après deux années de travaux consacrés respectivement à l’équilibrage et au contrôle du réseau électrique, puis à la modélisation systémique comme aide aux décisions d’investissement.
La question des besoins de flexibilité est une problématique mondiale, comme l’a rappelé l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Cependant, les enjeux nationaux sont forts, et notre position économique et stratégique est en cause. On entend parfois dire qu’il n’y a pas d’urgence. C’est oublier, d’une part, l’interconnexion électrique de la plaque européenne, qui nous exposera dès 2022 aux conséquences de l’arrêt chez nos voisins de centrales nucléaires et à charbon ; et d’autre part, le temps nécessaire pour préparer le renouvellement du parc nucléaire, sachant que la part de centrales pilotables décroît, alors que celles-ci contribuent fortement à l’équilibre du réseau.
Le rapport fait l’inventaire des solutions envisageables pour la flexibilité, en montrant quels problèmes il faut résoudre pour les mettre en œuvre, et quelles sont les recherches nécessaires à cet égard.
Les solutions de flexibilité
Les principales solutions sont la modulation de la production, l’interconnexion des réseaux électriques, le stockage et la flexibilité de la demande.
Les centrales nucléaires françaises ont été conçues pour être modulables, et il serait bon qu’une éventuelle nouvelle génération le soit aussi.
L’interconnexion à longue distance, puissant moyen de compensation des fluctuations météorologiques, se heurte malheureusement à la difficulté de faire accepter socialement de nouvelles lignes aériennes à haute tension, alors que les lignes enterrées coûtent très cher.
Le stockage de quelques heures à quelques jours bénéficie de la chute spectaculaire du coût des batteries, induit par la croissance du marché de l’automobile électrique. Le lithium-ion est de très loin la filière dominante, même si d’autres voies sont explorées. Ces batteries permettront aussi de traiter le problème du maintien de la tension et de la fréquence (grid support et grid forming). Les batteries des véhicules électriques pourraient servir d’appoint (ce qu’on appelle le V2G : vehicle to grid), à condition de développer des services d’échange entre lieu de stationnement et besoins de consommation. Mais qui paiera alors l’interface bidirectionnelle entre la voiture et le réseau ? Il s’agit d’un exemple des questions économiques que posent les équipements et les services de flexibilité.
Le stockage de longue durée (plusieurs semaines à plusieurs mois) nécessaire pour compenser les défections épisodiques des EnR intermittentes, n’a pas, à l’horizon 2035, de solution économiquement viable. Actuellement, les seules solutions opérationnelles sont les barrages hydrauliques avec station de transfert d’énergie par pompage (STEP), mais qu’on ne peut guère développer en Europe faute de nouveaux sites acceptables par la société civile. Ce problème critique est une puissante motivation pour la recherche, notamment sur des technologies telles que l’hydrogène.
L’effacement de la demande est pratiqué depuis longtemps avec les consommateurs industriels, en particulier les entreprises électro-intensives. Aller plus loin que les 5 GW actuellement estimés passera par une « flexi-conception » des installations, afin de préserver la production malgré les interruptions de courant. Mais là encore, comment l’investissement sera-t-il financé ?
Pour les particuliers, l’effacement de consommation commence à apparaître, via l’émergence des solutions proposées par les agrégateurs, qui sont facilitées par les interfaces numériques. L’effacement de la demande et la fourniture corollaire de services au réseau générés par cette flexibilité sont donc un exemple des nouveaux services que peut rendre le numérique, sachant que la fiabilité est essentielle, car le fonctionnement du réseau ne doit pas être mis en péril.
Le numérique est au cœur du développement de la flexibilité. Il permet, via les capteurs et les moyens de transmission, de connaître finement l’état du réseau, et, grâce aux capacités de traitement et aux divers actionneurs – qui sont souvent des équipements d’électronique de puissance – de réagir en temps réel, de régler les conditions d’injection et de coupure, de prévenir les courts-circuits.
Si le réseau est désormais ouvert à une multiplicité d’acteurs, il faut néanmoins gérer l’ensemble du système et assurer sa cohérence, tout en lui donnant une architecture adaptée à la décentralisation de l’intelligence de contrôle et de pilotage. C’est la distribution de l’électricité, avec plusieurs opérateurs et le contact direct avec des millions d’usagers, qui constitue la partie la plus complexe. Même si l’autoconsommation comporte des bénéfices pour les usagers, les boucles locales ne disposent pas des réserves de flexibilité du réseau électrique, qui permettent de garantir la sécurité d’approvisionnement et la qualité du courant : le raccordement au réseau demeure une sécurité indispensable pour les consommateurs. Cependant, la tarification actuelle de l’acheminement à 80 % d’énergie et 20 % de puissance ne fait pas payer cette sécurité à son prix.
La décentralisation du réseau, la multiplication des points d’injection, et l’arrivée de nouveaux services ouvrent de nouvelles opportunités, mais exposent a contrario tant à des captations de valeur par des opérateurs étrangers ayant accès aux données qu’à des cyber-attaques. Il faudra s’en protéger.
Beaucoup de ces questions nécessitent des modélisations. Modélisations et numérique sont liés, par les moyens de calcul et par l’usage croissant de données de plus en plus nombreuses dans les modèles. Ceux-ci devront être construits dans une perspective systémique, couvrir des aspects techniques, économiques, sociaux, tout en tenant compte des nouvelles incertitudes liées à la prévision des EnR et au comportement des usagers.
Les modèles peuvent aider à structurer les marchés et à leur donner des règles de fonctionnement idoines. Les marchés actuels ont été mis en place pour favoriser la meilleure utilisation instantanée des moyens disponibles. Ils ne fournissent pas de signal prix susceptible d’inciter à des investissements de long terme. Cependant, le marché est un outil pour donner une valeur à la flexibilité, à condition de bien définir les différents services rendus, et sachant que la rémunération dépendra de la tarification.
Les priorités de recherche
Les analyses conduisent à recommander les thèmes suivants, en concertation avec l’alliance ANCRE (Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie) : le numérique (décentralisation du contrôle et du pilotage, cyber sécurité, défense des chaînes de valeur), la modulation de la production d’électricité, les interconnexions, le stockage (y compris les combinaisons avec d’autres énergies), l’effacement de la demande, la fiabilité des réseaux, la modélisation, ainsi que les aspects économiques et réglementaires de la flexibilité.

Nous avons donné des indications sur la nature des efforts, qui dépend des enjeux, de la maturité des solutions, et des capacités françaises : on ne traite pas un problème d’industrialisation comme un problème de recherche amont.
http://www.anrt.asso.fr/sites/default/files/anrt_rapport_snre_2021.pdf