Le Cercle des économistes émet 10 propositions pour remettre la France dans la course technologique.

La France est-elle toujours dans la course technologique ? Notre position dans la recherche, l’innovation et le développement n’a cessé de se dégrader au fil des décennies. Avec des dépenses de recherche et développement qui s’élèvent à 2,2% de son PIB, la France se classe au 13e rang mondial et au 7e rang des pays de l’Union Européenne, alors que des pays comme les Etats-Unis, l’Allemagne, les pays du nord de l’Europe et la Corée du Sud approchent voire dépassent les 3%.
Si débloquer des fonds supplémentaires est important, la manière de les mobiliser l’est plus encore.
Une coopération étroite entre les secteurs public et privé est essentielle pour le développement, l’application et la diffusion des technologies. La dépense intérieure de R&D des entreprises en France, qui représente 1,4% du PIB, est inférieure à celle de l’OCDE, de 1,7% du PIB. Or les entreprises, notamment industrielles, sont le moteur de la dynamique technologique : d’abord par l’offre, étant elles-mêmes innovantes, mais aussi par la demande, car elles contribuent à développer les marchés de ces technologies en les adoptant. Le secteur privé ne peut porter seul cette progression et c’est d’une articulation bien coordonnée des filières entre recherche publique, recherche privée, formation et production dont nous avons besoin, notamment via les pôles de compétitivité.
Dans cette course mondiale, l’Europe a un rôle central à jouer pour revenir au niveau des géants de la technologie américains et chinois. Malgré un retard important accumulé dans de nombreux secteurs, l’Europe réagit, notamment avec les Projets Importants d’Intérêt Européens Communs (PIIEC). Dans le domaine des batteries par exemple, le PIIEC permet de débloquer 5,1 milliards d’euros, avec un effet de levier espéré de 9 milliards d’euros apportés par le secteur privé, des montants comparables à ceux engagés par la Chine. Mais l’Union Européenne peut offrir de nombreux autres outils pour stimuler la recherche, dans les innovations de rupture et dans la stimulation de la demande en technologies.
Enfin, la course technologique ne sera gagnée qu’avec la mobilisation de l’ensemble de la société française pour développer la connaissance scientifique. Nous avons perdu le goût pour la recherche. Les projets de recherche, longs et risqués, ne sont plus acceptés tant politiquement que socialement, en raison d’un principe de précaution qui prévaut trop largement. Les filières techniques et technologiques sont largement sous-valorisées, tant dans la formation que dans les rémunérations offertes sur le marché du travail. Nous perdons ainsi chaque année de nombreux chercheurs et jeunes talents de la “Tech”, qui préfèrent partir à l’étranger. C’est en conservant et en ranimant ces ressources humaines que la France fera son retour aux avant-postes de la course technologique.
Pour revenir dans la course, le Cercle des économistes propose de s’appuyer sur 10 propositions qui rétabliront la France parmi les grandes nations innovantes :
Axe 1 : Remettre la recherche au cœur des préoccupations économiques et sociales
1. Porter les dépenses de recherche et développement en France à 3% du PIB, soit une augmentation de 20 milliards d’euros par an, afin de nous porter au niveau des grandes nations innovantes comme les Etats-Unis, l’Allemagne ou les pays du Nord de l’Europe.
Axe 2 : Créer un vrai écosystème de recherche public-privé
2. Refondre l’organisation de la recherche en cassant les silos existants entre grandes écoles, universités et centres de recherche pour en faire, sur le modèle allemand, des fondations qui peuvent accueillir des financements, lever des fonds massivement et porter des projets de recherche à long terme et ambitieux.
3. Privilégier une approche “bottom-up”, structurée en grandes filières, des agences de recherche nationales, en concentrant leur rôle à celui de sélection, financement et accompagnement de projets présentés par des équipes de recherche, publiques et privées.
4. Cibler nos efforts de financement dans des écosystèmes mixtes publics-privés très portés vers l’avenir, qui se caractérisent par quatre critères :
- Ils s’appuient sur des marchés publics et/ou affirmés,
- Ils doivent mobiliser un ensemble de technologies, numériques, mais également mécaniques
ou chimiques, car la France a une grande capacité d’assembler ces technologies,
- Ils se développent en partenariat étroit avec des institutions de recherche,
- Ils partent de compétences existantes mais peu développées, souvent liées à des pôles de
compétitivité.
Nous pouvons l’illustrer de multiples manières, par la robotique, les énergies de la mer, l’imagerie médicale, les biotechnologies ou encore les télécommunications à partir de la 5G. Si nous prenons le cas de la robotique, pensons par exemple aux “cobots”, robots non autonomes qui effectuent des tâches en coopération avec des humains, afin de les diffuser pour un déploiement sur des segments et tâches pénibles ou à faible valeur ajoutée.
Axe 3 : Bâtir une Europe de la technologie
5. Créer, au niveau européen, des agences sur le modèle des DARPA et BARDA américaines pour financer les innovations de rupture. Ces agences couvriraient les grands projets européens dans les domaines de la défense, de l’aérospatiale, de l’énergie, de la microélectronique, du numérique et de la santé.
6. Mettre en place un “Buy European Act”, qui réserve aux entreprises européennes l’accès aux marchés publics dans certains secteurs innovants afin de stimuler la demande dans ces technologies. Le développement technologique à l’échelle d’une société ne peut en effet avoir lieu que si les innovations sont portées par l’offre mais aussi par la demande. Cette première mesure doit être complétée par des incitations d’adoption et achat de nos technologies françaises et européennes auprès des entreprises et des ménages.
Axe 4 : Construire une société animée par la connaissance scientifique
7. Revaloriser les métiers industriels et techniques, quel que soit leur niveau de formation, et faciliter leur accès aux formations économiques et commerciales.
8. Développer la formation par la recherche, en imposant un stage de 6 mois dans un centre ou une institution de recherche à tous les étudiants en formation supérieure dans les sciences, y compris les sciences sociales et économiques. Ce stage peut s’effectuer dans une institution française ou européenne.
9. Proposer des rémunérations plus attractives pour les carrières des chercheurs. En plus de l’approche “bottom-up” des agences de recherche nationales, qui contribuera à augmenter le financement de projets de recherche (cf proposition 3), il convient de renforcer les crédits de base octroyés aux unités de recherche afin d’assurer aux chercheurs une rémunération plus importante et un cadre de travail satisfaisant.
10. Créer des certifications afin d’améliorer l’intégration des titulaires de doctorat sur le marché du travail, pour les placer dans les catégories supérieures des grilles de rémunérations.
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