La sélection est l’un des grands tabous de l’université française, à tout le moins de certains idéologues et de certaines parties prenantes. Elle pose aussi la question du rôle de l’enseignement supérieur à la française.
Sélection, idée taboue pour l’université française ?
On pourrait en avoir l’impression à la lecture de la récente stratégie nationale de l’enseignement supérieur. Dans la Stranes, le terme de « sélection » n’est utilisé que… pour les études médicales s’agissant de l’expérimentation de nouvelles formes de sélection des étudiants de santé et de diversifier les profils des étudiants de médecine et de développer les réorientations vers d’autres filières, ainsi qu’au niveau du Master, soit à l’entrée, soit entre M1 et M2, en particulier pour proposer de supprimer la sélection entre le M1 et le M2. Ceci étant, la Stranes note bien que l’idée selon laquelle l’université ne serait pas sélective ne tient pas, puisque chaque année constitue un filtre de validation des connaissances.
Lors du récent séminaire Terra Nova – Institut Montaigne –Dauphine sur le thème « Quel enseignement supérieur pour la France en 2020 ? », François Fillon a développé sa vision de la sélection pour laquelle on est en plein dans la France des tabous.
Alors que beaucoup d’organisations universitaires font de la sélection un casus belli, les étudiants et leurs familles privilégient les filières sélectives : classes préparatoires, grands établissements, IUT, BTS, formations de santé…. Ces filières attirent la moitié des bacheliers généraux. Or ces filières emportent de fortes distorsions d’orientation au détriment des filières universitaires classiques marquées par un terrible taux d’échec des bacheliers en fin de première année : 58,5%.
Il a rappelé une observation de la Fondation Terra Nova : « la « victoire » des opposants à la sélection est une victoire à la Pyrrhus, qui nuit au développement d’une offre universitaire démocratique et de qualité».
L’Etat a le devoir de garantir l’accès des bacheliers à l’enseignement supérieur, ce qui ne veut pas dire le droit d’accéder à n’importe quelle formation, n’importe quel diplôme de l’enseignement supérieur, ni d’y accéder indéfiniment.
S’agissant des universités, il considère qu’elles doivent pouvoir librement créer des filières d’excellence : l’Etat ne devra plus s’opposer aux universités qui souhaitent créer dès la licence, en plus des formations généralistes, des parcours d’excellence nécessairement sélectifs ; l’université, de son côté, devra développer ses IUT et ses licences professionnelles avec pour objectif une insertion professionnelle rapide, par exemple en privilégiant l’apprentissage.
Nathalie Kosciusko-Morizet, dans Le Monde, considère que l’université doit être libre de choisir ses élèves. Et c’est à chaque établissement de fixer ses propres règles. Il faut rompre avec l’idée que l’avenir de l’université ne se gère qu’en termes de masse, et mettre en avant les parcours individualisés. Ceux qui s’arc-boutent contre la sélection sont hypocrites. Des milliers de jeunes se retrouvent dans des filières sans débouchés, ils redoublent, puis ils changent, jusqu’à perdre plusieurs années dans un cursus qui ne leur correspond pas, et, in fine, ils ne trouvent pas d’emploi.
Elle affirme que la sélection se fait aujourd’hui, mais par l’échec. Elle milite pour une sélection de réussite.
La sélection permet d’accroître la motivation. Elle permet, couplée à des droits de scolarité à la hauteur de la valeur des professeurs, de redonner du sens et du prestige à l’université.
Quel rôle pour l’enseignement supérieur ?
Ces éléments posent clairement la question du rôle de l’université : instruction ou professionnalisation. Toute personne motivée doit pouvoir avoir accès à l’instruction. Mais un parcours professionnalisant se doit d’être sélectif.
A la décharge des universités, il faut admettre que l’orientation et l’insertion professionnelle ne sont une mission « officielle » du service public de l’enseignement supérieur que depuis la loi Pécresse (2007), même si de nombreux diplômes universitaires n’ont pas attendu 2007 pour être professionnalisant (médecine, droit, technologie, …).
Comme le remarque Arnaud Parienty, auteur de « School Business », dans Libération : Toutes les études qui débouchent sur un emploi sont devenues payantes. (…) La médecine est un bon exemple de la manière dont des études théoriquement gratuites deviennent subrepticement payantes. En très peu d’années, un doublement des cours, par des prépas privées, situées à côté des facs de médecine, est devenu la norme et avantage nettement les étudiants qui peuvent se les offrir.
Comme l’a exprimé Thierry Mandon lors du récent Congrès de la conférence des grandes écoles (CGE), le grand projet pour les 10 ans qui viennent, c’est de réaliser une démocratisation exigeante de l’enseignement supérieur, pas ‘la démocratisation’. Mettre davantage d’étudiants dans des amphis, donner plus de diplômes, on sait faire. Mais organiser des parcours fluides, exigeants, professionnalisant, c’est cela qu’il faut. De même qu’il faut exiger de tous les acteurs du système un certain nombre de responsabilités, plus importantes qu’aujourd’hui.
Le taux net d’emploi des jeunes diplômés des grandes écoles (la CGE regroupe 254 membres) oscille autour de 80 % (80,6 %). L’entrée dans la vie active est rapide puisque plus de 50 % de ceux-ci ont trouvé un emploi avant la sortie de leur école et 75 % moins de deux mois après. 12 à 15 mois après la sortie d’école, ce taux d’insertion est de 92,7%.
Alors, enseigner pour instruire ou enseigner pour préparer à l’insertion professionnelle ?
Pour William Martinet, président de l’UNEF, la sélection à l’entrée du master renforce les inégalités entre diplômes et la certification permet aux diplômés de revendiquer collectivement une reconnaissance de leurs qualifications sur le marché du travail.
Yves Poilane, Directeur de Télécom Paris Tech, considère, en réponse à William Martinet, que si l’obtention d’un diplôme reconnait un niveau d’instruction, elle ne donne pas droit à un emploi, que le diplômé pourrait « revendiquer ». Selon lui, la sélection est donc totalement inévitable et souhaitable dans un système efficace d’enseignement supérieur, du fait de (et à la hauteur de) sa vocation professionnalisante.
Il s’interroge sur l’ambiguïté sur le rôle assigné à l’enseignement supérieur. Est-il d’abord destiné à permettre à chacun d’entre nous de s’instruire, d’enrichir ses connaissances en vertu d’un droit à l’instruction pour tout citoyen ? Ou est-il destiné à préparer l’insertion dans la vie professionnelle ?
Selon lui, le fait que l’âge minimum de fin de scolarité obligatoire soit fixé, en France, à 16 ans, ainsi que le fait que le baccalauréat se passe généralement vers 18 ans (…) laissent penser que l’État, le citoyen, considèrent qu’au-delà de 18 ans, l’instruction nécessaire est terminée. Dans cette hypothèse, la mission première de l’enseignement supérieur est de préparer à l’entrée dans la « vie active » et doit donc répondre à des objectifs d’employabilité des diplômés qu’il forme.
Pour autant, il considère qu’il n’est pas du tout illégitime que le système d’enseignement supérieur ait également une mission d’instruction si tant est que l’on sache bien distinguer, formation par formation, niveau par niveau, ce qui relève de l’instruction (qui ne peut être selon moi, je le répète, l’objet premier de l’enseignement supérieur) et ce qui relève de la professionnalisation (préparation à l’insertion professionnelle).
Enfin, il explique la prise de position de William Martinet par la grande confusion créée par la coexistence des 2 finalités (instruction, professionnalisation) et surtout l’absence de caractérisation de chaque formation d’enseignement supérieur au regard de ces 2 finalités.
Finalement, avec un objectif de développement de compétences et d’insertion professionnelle, plutôt que de sélection, ne vaudrait-il pas mieux parler de valorisation de la diversité des talents et d’orientation adaptée, l’excellence existant à tous les niveaux ?
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Sur le séminaire : http://www.desideespourdemain.fr/index.php/post/2015/10/14/Compte-rendu-Quel-enseignement-supérieur-pour-la-France-en-2020#.ViSUPNZ9v04
Intervention de François Fillon : http://www.force-republicaine.fr/quel-enseignement-superieur-pour-la-france-en-2020/
Tribune de Nathalie Kosciusko-Morizet: http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/09/23/liberons-l-universite-francaise-de-ses-tabous_4768807_3232.html
Loi LRU:
Interview d’Arnaud Parienty : http://www.liberation.fr/politiques/2015/10/18/arnaud-parientytoutes-les-etudes-qui-debouchent-sur-un-emploi-sont-devenues-payantes_1406681
Insertion des diplômés des grandes écoles : http://www.cge.asso.fr/document/liste/262/insertion
Tribune de William Martinet : http://www.lemonde.fr/campus/article/2015/09/16/faut-il-instaurer-davantage-de-selection-a-l-universite_4759284_4401467.html?xtmc=martinet&xtcr=7
Blog d’Yves Poilane : http://blog.educpros.fr/yves-poilane/
Pourquoi la sélection à l’université est-elle taboue? Pourquoi, au nom d’idées bien peu partagées par l’ensemble des étudiants et des familles de ces étudiants, affirmer le principe désuet de non-sélection?
L’université permet l’acquisition de connaissances, et aussi de compétences. L’université donne accès à l’instruction, mais aussi, pour utiliser un mot récent, à l’employabilité. D’ailleurs, depuis la loi LRU de 2007, l’insertion professionnelle des étudiants diplômés est devenue une mission des universités.
Un récent bachelier peut s’inscrire, sur le site APB (admission post-bac) à n’importe quelle université, quel que soit son parcours antérieur. Pour peu qu’il ait classé en premier une filière non-sélective, il l’obtient.
Qui dit d’ailleurs qu’il a choisi son parcours antérieur? Tous nos bacs (général, technologique, professionnel) conduisent-ils à toutes les universités? N’y a-t-il pas, pour le choix de certaines séries une sélection qu’on appelle, par presque langue de bois, une orientation?
On sait qu’un jeune étudiant, qui aura obtenu un bac inadapté pour certaines études, a zéro chance de passer le cap L1. Il suffit de regarder la série du bac pour les réussites en L1 économie ou médecine, par exemple. Lui permettre l’inscription, c’est le tromper, tromper sa famille, la voler d’une année d’entretien financier de son étudiant. Bel exemple de démocratie, pourtant invoquée par les tenants de la non-sélection.
En réalité, et pour prendre une image un peu hardie, la non-sélection s’apparente à une course cycliste en montagne où la sélection se fait par l’arrière. La non-sélection, c’est la sélection par l’échec, et non pas par le choix et la discussion entre les universités et les familles. Le choix de la non-sélection, c’est le choix de l’élimination. On a même vu cet été 2015, certains envisager des tirages au sort.
La pensée unique, doctrinaire souvent, de non-sélection, portée comme un étendard, fait beaucoup de mal, génère beaucoup de frustrations et d’échecs. Elle est anti-démocratique.
Il est donc raisonnable et convenable pour tous que les futurs étudiants reçoivent une information pertinente et si possible, complète. Ainsi ce qui est appelé sélection sera une orientation éclairée et efficace.
Très bon débat qui n’aura pas de fin immédiate mais au passage je salue l’intervention d’Yves Poilane qui a l’avantage de poser honnêtement la question de la confusion des finalités dans les discours actuels et dont il faudra sortir un jour !