Dans son rapport sur l’avenir de l’Ecole Polytechnique, L’X dans une nouvelle dimension, Bernard Attali est clair dès le début : il fait partie de ceux qui défendent notre système de grandes écoles. Il ajoute : Contrairement au discours trop souvent entendu, la mission de Polytechnique est claire : l’École doit contribuer à former les cadres de la Nation à vocation scientifique, que ce soit dans le secteur public ou le secteur privé.
Ce rapport fait suite au rapport du député François Cornut-Gentile : Polytechnique : l’X dans l’inconnu, publié fin septembre 2014 (voir
http://science-innovation-developpement.com/lx-fer-de-lance-du-modele-francais/ )
L’éco-système de l’enseignement supérieur évolue très vite : Pacte pour la recherche (loi Goulard, 2006), Liberté et responsabilité des universités (loi Pécresse, 2007), lancement du PIA (dont Idex, Paris Saclay, …, 2010), Loi sur l’enseignement supérieur et la recherche (loi Fioraso, 2013), Loi sur la formation professionnelle (2014), sans même citer les lois connexes ayant une influence sur certaines grandes écoles (loi de programmation militaire (2013), loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (2014),…). Les regroupements, ParisTech, Idex, Isite, Comue se constituent au fil des appels d’offres du PIA et se délient parfois au fil des échecs. La STRANES (Stratégie Nationale de l’Enseignement Supérieur), première du genre, est attendue d’un jour à l’autre.
C’est dans ce contexte que le futur de l’Ecole Polytechnique, voire du système français des grandes écoles, est questionné. Les recommandations faites dans ce rapport sont regroupées sous 9 intitulés :
- Stratégie générale et Saclay
- Formation
- Diversité sociale
- Besoins de l’Etat
- Liens avec l’entreprise, entreprenariat
- Gouvernance
- Défense
- Recherche
- International
Je laisse les lecteurs de ce blog les découvrir (voir plus bas) et se faire une opinion par eux-mêmes. Je souhaiterais simplement partager quelques interrogations.
Quel est le futur des corps techniques de l’Etat ?
Parmi ses spécificités dans le paysage français, l’X reste encore le principal pourvoyeur des corps techniques de l’Etat. L’Etat se désengage du technique. Il est effectivement probable qu’une fusion de l’ensemble des corps technique de l’Etat serait une mesure utile de simplification et de « mobilité et respiration administratives ». Il sera intéressant de voir si la même réflexion est lancée sur les corps administratif de l’Etat et sur la réforme de l’ENA. Idem pour la question de la solde des élèves dans les Ecoles Normales Supérieures, par exemple.
Incidemment, le classement de sortie existant à l’X n’est maintenu qu’à la demande de l’Etat pour la gestion du recrutement dans les corps. Et, s’agissant des valeurs républicaines portées par l’X (Pour la patrie, les sciences et la gloire), un recrutement sur dossier émarge t’il plus à la méritocratie républicaine qu’un classement ?
Faut-il que nous nous inclinions devant le dictat des classements internationaux ?
Avec la prolifération des classements internationaux, chacun privilégiant le système, la culture (chinois, anglo-saxon, …) et la culture (asiatique, anglo-saxonne, européenne, …) qui l’ont fait naître, il est toujours possible de trouver celui qui soutient la thèse défendue. Le classement de Shanghai donne une prime à la taille. Mais est-ce adapté à notre culture, à nos valeurs, à nos objectifs ?
Rappelons aussi que sur certains classements, les grandes écoles françaises se comportent très honorablement, qu’elles soient de commerce ou d’ingénieur. L’X est 61ème au classement mondial du Times Higher Education 2014 devant tous les autres établissements français (universités y compris), mais aussi 5ème université la plus internationale à ce même classement et 66ème mondial au palmarès de Leiden, et que HEC est second au classement du Financial Times, pour ne citer que ces exemples (voire http://science-innovation-developpement.com/encore-et-toujours-des-classements/ ).
Is big necessary beautiful ?
Est-il possible de rester une école d’excellence malgré une relative petite taille ? La réponse est clairement non. Cette assertion du rapport n’est pas prouvée. Surtout à une échelle nationale. Une grande partie de l’analyse faite dans le rapport de Bernard Attali est fondée sur l’importance de la taille.
Au prétexte que l’ascenseur social est en panne, faut-il supprimer l’ascenseur ?
L’auteur de cet article est bien placé pour savoir que l’X a été un ascenseur social et que la solde versée aux élèves de l’X pouvait être un plus important. Mais cet ascenseur social s’est ralenti. Est-ce une raison pour le supprimer ou l’affaiblir un peu plus ? Et ce qui est valable dans le système des grandes écoles et des CPGE ne l’est-il pas aussi dans d’autres domaines, telles les études médicales, en matière d’endogamie, de diversité sociale et d’« ascenseur » ?
Complémentarité et biodiversité des formations ne sont-elles pas une richesse ?
La diversité des structures et offres de formations apparaît plutôt comme une richesse. Cette biodiversité joue sur la complémentarité de façon positive. Et vouloir tout regrouper « affadit » cette richesse.
Les universités, pivots du dispositif d’enseignement supérieur (et de recherche), sont-elles prêtes à assumer le rôle qui leur semble dévolu ?
La politique actuelle de l’enseignement supérieur semble vouloir donner la primauté aux universités, voire aller vers l’exclusivité (alors que 40 % des diplômés au niveau master le sont par une grande école). Pourquoi vouloir tout regrouper dans des universités ayant un modèle de gouvernance par « l’interne » ? Par rapport aux modèles universitaires étrangers, anglo-saxons en particulier, la place des corps internes dans la gouvernance des universités françaises y est prépondérante, celle des parties prenantes extérieures faible, limitant leurs capacités d’ouverture, d’adaptation et de réactivité.
De plus, la volonté d’uniformiser le modèle d’enseignement supérieur autour des universités (attendons la STRANES pour vérifier ou infirmer cette tendance ressentie) risque de se propager au modèle français de recherche, lui aussi spécifique, comme le système français d’enseignement supérieur. Universités, Instituts, CNRS, CEA, ANR, …. sont parties de ce système de recherche. L’effet boomerang d’un alignement forcé du système français d’enseignement supérieur autour des universités risque d’atteindre aussi le système français de recherche.
Ceci ne remet pas en cause la place importante que doivent prendre les universités, tant en matière d’enseignement supérieur qu’en matière de recherche. Il nous faut des universités fortes, structurantes dans le paysage mais sont-elles prêtes à jouer un rôle plus important eu égard à leur moyens internes de gestion, à leur mode de gouvernance et aux contraintes qui pèsent sur elles (modèle économique, non-sélection à l’entrée, …).
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Ce rapport a néanmoins le mérite de poser des questions et d’y apporter des propositions de réponses qui devront maintenant être débattues. Certaines de ces questions sont déjà en cours de traitement (solde / remboursement de la pantoufle, « Ecole Polytechnique de Paris » / Paris Tech, formation par alternance / association X-Ensta Palaiseau, accès post-bac / internat d’excellence sur Saclay, …). Et beaucoup de réponses aux questions soulevées dépendent des moyens mis en œuvre et de la (bonne) volonté des partenaires, Etat, ministère de tutelle, universités, etc.
Espérons que ce débat soit aussi systémique et globalement cohérent que possible mais aussi aussi peu dogmatique que possible. Comme l’a récemment exprimé le ministre de tutelle de l’X : L’adoption d’une stratégie de croissance clarifiée est maintenant indispensable.
http://www.letudiant.fr/educpros/actualite/polytechnique-et-l-effet-ricochet-du-rapport-attali.html
RECOMMANDATIONS
STRATÉGIE GÉNÉRALE ET SACLAY
- Fusionner les universités Paris-Sud et Versailles Saint-Quentin, les dénommer Université Paris-Saclay
- Supprimer le groupement ParisTech
- Regrouper au sein de l’Université Paris-Saclay dix grandes écoles scientifiques dont l’X pour créer l' »École polytechnique de Paris »
- Adopter pour l’École polytechnique de Paris une gouvernance qui permette un leadership stratégique sur l’ensemble des écoles regroupées et une éligibilité aux classements internationaux
- Reprendre le dossier du déménagement de l’École des Mines à Saclay, étudier celui de l’École des Ponts
- Nouer un dialogue direct et approfondi avec les agences de classement pour comprendre précisément quels sont leurs critères
- Moderniser l’architecture des bâtiments de l’X dans le cadre de la rénovation du campus de Saclay
- Mettre en place un délégué interministériel pour suivre et arbitrer la mise en place de l’UPS
GOUVERNANCE
- Finaliser rapidement la parution du décret relatif au changement de statut de l’X en EPSCP
- Conseil d’administration : internationaliser sa composition, augmenter sa fréquence, procéder à une auto-évaluation, et l’ouvrir à un représentant de l’Université Paris-Saclay
- Intégrer le projet d’ »advisory board » dans une commission aval rénovée
- Fixer un objectif de levée de fonds de 300 M€ pour la prochaine campagne de la Fondation X
- Développer une logique de fundraising par projet
- Étudier la vente de la « Maison des Polytechniciens » de la rue de Poitiers et en verser les recettes à la Fondation X
INTERNATIONAL
- Quadrupler le nombre d’élèves internationaux du cycle polytechnicien
- Systématiser l’usage de l’anglais en 3e année, et introduire la moitié des enseignements en anglais en 1e et 2e année
- Relever très significativement les frais de scolarité, revoir drastiquement les conditions d’exemption de frais de scolarité
- Mettre en place des diplômes de l’X payants, valant grade de master, mutualisés avec les 3A-4A
- Augmenter la durée minimale de passage des élèves français à l’international à 6 mois (moyennant éventuellement une modification du cursus de la première année)
- Permettre aux élèves qui le souhaitent de partir un an à l’étranger avant la 4e année
- Clarifier les priorités d’alliances internationales
- Refondre la politique de communication de l’École polytechnique, en valorisant fortement la marque à l’international
FORMATION
- Créer un accès post-bac à l’École polytechnique
- Créer une formation par alternance à l’X
- Atteindre un objectif de 50 % d’élèves-ingénieurs de l’X poursuivant en thèse
- Mettre en place une troisième année renforcée pour permettre aux élèves qui le souhaitent de démarrer un doctorat dès la quatrième année
- Remettre sous tension les élèves au cours de leur scolarité
- Offrir une plus grande diversité de parcours dès la troisième année
- Sensibiliser davantage les élèves à la culture projet
- Systématiser les projets scientifiques collectifs en lien avec les industriels
- Renforcer le poids des « soft skills » dans l’enseignement
- Développer formation et recherche dans le domaine de l’ingénierie des sciences de la vie
- Améliorer la coordination des parcours 3A-4A entre l’X et les écoles d’application
- Développer une offre de formation continue pour décideurs publics dans le domaine des systèmes complexes
- Multiplier par 10 le nombre de MOOCs disponibles d’ici 2025
DIVERSITÉ SOCIALE
- Créer sur le campus de Saclay un internat d’excellence abritant des classes préparatoires dédiées aux élèves boursiers, mutualisé entre toutes les grandes écoles d’ingénieurs
- Instaurer un partenariat entre l’X et un grand nombre de lycées partenaires, sur tout le territoire, pour identifier les lycéens talentueux de condition modeste
- Multiplier par trois les recrutements universitaires, en s’appuyant sur une campagne de communication plus ambitieuse
- Assigner aux lycées situés en réseau d’éducation prioritaire un objectif de nombre d’inscriptions minimal en classes préparatoires
- Renforcer la communication sur les classes préparatoires et les écoles d’ingénieurs au sein des lycées défavorisés, en associant l’X et ses élèves à cet effort
- Amplifier les opérations de communication vers les publics féminins lycéens pour améliorer la parité parmi les élèves de l’X
RECHERCHE
- Étudier la possibilité d’augmenter le nombre de personnels de recherche directement rattachés à l’École polytechnique
- Rendre possible un intéressement des enseignants-chercheurs au développement de la formation continue, des chaires, de la recherche partenariale
- Renforcer l’implication des chercheurs du CNRS hébergés par l’X dans les enseignements de l’École
- Créer une instance de rencontre de toutes les tutelles des laboratoires de l’X, afin de clarifier la politique scientifique de l’École
- Finaliser le projet de décret de nouveau statut des enseignants-chercheurs de l’X
- Revoir le rôle et la fréquence des réunions du conseil d’enseignement et de recherche
- Changer le nom des laboratoires de l’X, pour faire apparaître explicitement la marque « Polytechnique »
BESOINS DE L’ÉTAT
- Supprimer le classement de sortie en introduisant une sélection sur dossier et un entretien de motivation
- Mettre en place une coordination globale interministérielle sur les besoins quantitatifs et qualitatifs de l’État et du secteur public en ingénieurs polytechniciens
- Décider de l’admission dans les corps de l’État plus tôt qu’en fin de troisième année
- Réintégrer les corps de l’État et les principaux employeurs publics au sein de la commission aval, prévoir la participation de France Stratégie
- Faciliter les essaimages d’ingénieurs de l’État au sein des fonctions publiques territoriales, hospitalière et européenne
- Favoriser les allers-retours public-privé et confier au vice-président du Conseil d’État une mission sur une révision en ce sens des règles de déontologie
- Supprimer la disposition du décret n°2012-32 imposant un minimum de 50 % d’administrateurs civils dans les postes de chef de service et sous-directeur d’administration centrale
- Poursuivre le processus de fusion des grands corps techniques de l’État, tout en conservant une pluralité des cursus d’application
- Afficher une stratégie et une évolution de carrière claire pour les membres des grands corps techniques de l’État
DÉFENSE
- Substituer à la solde des élèves un système de bourses
- Ouvrir une partie du cursus polytechnicien à quelques excellents élèves des écoles d’officiers
- Accroître la proportion de stages civils (50 %) lors des stages de première année
- Renforcer significativement l’implication de la Défense sur le plateau de Saclay (coopérations scientifiques entre l’X, la DGA et l’ONERA,…)
- Définir un portefeuille de postes d’officiers de réserve adaptés à des polytechniciens
- Faire intervenir les X lors des « Journées Défense et citoyenneté »
- Organiser des formations conjointes avec l’IHEDN
LIENS AVEC L’ENTREPRISE, ENTREPRENEURIAT
- Dispenser en tronc commun un enseignement de l’économie moins modélisé et plus concret
- Finaliser rapidement la création d’un module d’introduction à la vie en entreprise (droit, comptabilité,…)
- Augmenter le nombre de vacataires industriels parmi les enseignants
- Accroître notablement le nombre de chaires
- Ouvrir l’espace dédié à l’incubation et à l’enseignement de l’entrepreneuriat sur le campus de l’X à l’ensemble des établissements de l’Université Paris-Saclay
- Systématiser la prise de participation de l’École polytechnique dans les start-up incubées à Palaiseau
- Créer une convention entre l’X et la Banque Publique d’Investissement pour accompagner et financer les projets les plus créatifs.
Pour prolonger sur les classements, Campus France indique que la notoriété des classements auprès des étudiants ne dépasse pas 14 % et seul 1 étudiant sur 10 les utilise, sur la base d’un sondage effectué auprès de 600 étudiants de 46 nationalités. Les deux classements les plus utilisés par les membres de l’échantillon de Campus France sont ceux du Financial Times (18 %) et du THE (11 %), avec une note de confiance accordée de respectivement 6,8/10 et 6,6/10.