« Une étude compilée par le Tencent Research Institute (…) cite les États-Unis, la Chine, le Japon et la Grande-Bretagne comme les pays les mieux placés dans la course à l’IA. (…) La France n’est pas citée. » Cet extrait du récent et médiatisé rapport de Cédric Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle, justifie que l’on s’intéresse à ce qui se passe en la matière dans ces pays.
S’agissant du Japon, une récente étude du Service pour la science et la technologie de l’Ambassade de Farnce au Japon présente un état de l’art de la recherche sur l’intelligence artificielle au Japon. Ses principales perspectives sont reprises ici. Il est intéressant de remarquer que les travaux en IA s’effectuent dans le cadre du concept « société 5.0 » et que le rapport japonais aux technologies d’IA est plutôt bienveillant, contrairement au public occidental pour lequel c’est la méfiance qui prédomine encore.
A noter qu’un symposium franco-japonais sur les sciences des données et de l’intelligence artificielle (IA) se tiendra au MESRI, à Paris, du 10 au 12 juillet 2018. Les inscriptions (gratuites) sont ouvertes jusqu’au 2 juillet 2018
Le Japon montre une volonté́ affichée de développer ses ressources en intelligence artificielle et de devenir un acteur majeur du domaine sur la scène mondiale et réaffirmer ainsi son statut de leader technologique, industriel ainsi qu’en recherche et innovation face à la Chine et aux Etats-Unis.
Au-delà de ces considérations internationales, les technologies d’IA sont perçues comme des outils incontournables pour remédier à de nombreux problèmes auquel le pays est d’ores et déjà confronté. C’est la raison pour laquelle l’IA fait partie intégrante du 5th Basic Plan et son concept de « société 5.0 » élaboré par le Cabinet du Premier Ministre, de la Japan Revitilization Strategy et qu’une stratégie présentant des objectifs planifiés sur presque 20 ans lui est consacrée.
Pour atteindre ces objectifs, le Japon bénéficie de son expertise reconnue en robotique, notamment industrielle, qui constitue un savoir-faire non négligeable, et du niveau d’excellence de ses chercheurs, universités et instituts de recherche, encouragés par les initiatives gouvernementales à développer leurs activités dans le domaine. Cependant, bien que les moyens octroyés augmentent d’année en année, ils semblent minimes comparés aux budgets chinois et américains dédiés aux mêmes sujets. De plus, si la plupart des pays constatent un manque de chercheurs et ingénieurs formés dans le domaine, cette situation est encore plus sévère au Japon étant donné son contexte démographique.
Contrairement à la Chine et aux Etats-Unis, le Japon ne possède pas de géants du numérique comparables à Google, Facebook ou Baidu, et le pays ne se démarque pas par un environnement particulièrement favorable au développement de startups, qui sont pourtant largement reconnues comme d’importants vecteurs d’innovation à l’étranger. Sans être inexistante, la culture des startups est encore récente au Japon et donc peu développée, même si le pays possède quelques pépites et que le gouvernement multiplie les initiatives pour leur développement. Les grands groupes de l’industrie et du numérique japonais quant à eux ne sont pas passés à côté du sujet et sont des acteurs et investisseurs très actifs de l’innovation dans le domaine.
Ce sont d’ailleurs les startups et les laboratoires des grands groupes du privé qui, principalement, s’intéressent aux technologies de deep learning, souvent considérées comme à l’origine du troisième « boom de l’IA » et de ses progrès fulgurants de ces dernières années, et pourtant encore largement dédaignées par les chercheurs au Japon qui remettent en question la crédibilité de la technologie. Un changement de mentalité se fait cependant sentir au sein de la plus jeune génération. Selon certaines opinions, ce désintérêt pourrait en partie expliquer le retard du Japon sur l’aspect logiciel de l’intelligence artificielle. Si le Japon tarde à adopter le deep learning, il n’en est pas de même en France par exemple où la technologie est plébiscitée depuis plusieurs années.
Par bien des aspects, la situation de la recherche et de l’innovation en IA au Japon rappelle celle de la France et plus largement celle de l’Europe. Comme au Japon, l’Europe ne possède pas de géants du numérique comparables à des équivalents chinois ou américains. Les gouvernements européens n’ont pas non plus investi dans la recherche à la même échelle et par conséquent, malgré une volonté récente de s’affirmer dans le domaine l’Europe doit, au même titre que le Japon, rattraper son retard.
Cependant, en matière d’élaboration de politiques et de stratégie, le Japon est actif depuis début 2016. En France par exemple, la stratégie « France IA » a été publiée début 2017 et le gouvernement a publié une stratégie plus récente (mars 2018) détaillée dans le rapport Villani qui présente les intentions françaises mais ne formule pas d’objectifs ou de feuille de route, contrairement aux stratégies japonaises.
On peut constater de nombreuses similitudes entre les visions japonaises et françaises. Dans les deux stratégies, les secteurs de la mobilité et de la santé sont identifiés comme prioritaires pour l’application de l’intelligence artificielle. Les deux pays convergent également sur l’utilisation de l’IA pour l’amélioration de la productivité, la prise en compte des questions d’environnement et la nécessité de former plus de talents dans le domaine. Sur les questions de défense et de sécurité, qui représentent un volet entier de la stratégie française, l’approche japonaise est moins explicite et plutôt centrée sur des applications civiles : l’IA doit contribuer au développement d’une société garantissant la sécurité de tous (toujours dans le but de réaliser le concept de « société 5.0 »).
Les priorités divergent également sur les sujets de l’exploitation des données et de l’acceptation de l’IA par la société. La stratégie française élabore sur la nécessité de développer un écosystème et des régulations européennes pour encadrer l’utilisation des données personnelles sans freiner la recherche mais dans le respect des utilisateurs. Les questions en rapport au caractère inclusif de l’IA sont soulevées, ainsi que les inquiétudes qui ne manqueront pas d’émerger face aux transformations du travail amenées par l’IA. La sensibilisation et l’importance de rendre l’IA compréhensible au plus grand nombre sont mises en avant du côté français. L’importance donnée à ces questions est le reflet explicite du contexte social et économique français en particulier.
Au Japon, pays qui connaît le plein emploi, les inquiétudes quant à l’acceptation de l’IA au travail sont moindres. Culturellement, le rapport japonais aux technologies d’IA est plutôt bienveillant, alors que pour le public occidental, c’est la méfiance qui prédomine encore. Sur les questions d’éthique et de réglementation, le MIC a pris l’initiative de former un comité de réflexion sur ces sujets. Cependant, si des recommandations ont été formulées sur l’utilisation des technologies d’IA et leur développement, les acteurs à l’origine de ces technologies ne seront pas contraints par la loi de les appliquer. La sécurité de l’information a tout de même été identifiée comme un volet annexe à la stratégie sur les technologies d’IA s’appliquant à tous les secteurs prioritaires identifiés.
<https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_ia_au_jp_2018_-_final_cle8254b2.pdf>