L’été sera énergétique ou ne sera pas !

Avant que ce blog ne se mette en pause estivale, un zoom sur l’étuude sur les perspectives stratégiques de l’énergie publiée par la Commission de régulation de l’énergie.

L’analyse de l’évolution du secteur de l’énergie à moyen et long terme a permis de faire ressortir une douzaine de « thèses » prospectives qui dressent le portrait d’un secteur de l’énergie largement refaçonné sous l’effet combiné des évolutions technologiques et des politiques publiques répondant aux enjeux climatiques et sociaux.

Ces douze thèses sont présentées ci-après.

  1. [Demande d’énergie finale] – La consommation d’énergie diminuera en Europe

Alors que la demande d’énergie finale à l’échelle mondiale augmentera, tirée par la hausse de la demande des pays en développement, elle diminuera fortement en Europe et en France, y compris pour le gaz naturel, sous l’effet notamment des politiques d’efficacité énergétique. En Europe et en France, la demande d’électricité diminuera ou, au plus, n’augmentera que légèrement et ce malgré des transferts d’usages significatifs vers cette énergie (mobilité et chaleur).

  1. [Mix électriques] – Les mix électriques deviendront « naturellement » quasiment décarbonés grâce à la compétitivité des filières renouvelables

A l’échelle mondiale, les nouvelles capacités électriques seront très majoritairement renouvelables. Au sein des pays développés, des systèmes électriques fortement décarbonés (>80%) se généraliseront, au plus tard à l’horizon 2050. Ces systèmes électriques décarbonés seront compétitifs (par rapport au thermique fossile) dans les zones interconnectées comme, a fortiori, dans les ZNI où cela arrivera à un horizon plus proche, en raison de la diminution des coûts de production mais également des technologies permettant l’insertion d’une production fatale intermittente.

  1. [Réseaux électriques] – Le besoin en réseaux va croître alors même que leur taux d’utilisation va baisser

La transition énergétique aura un impact majeur sur les grands équilibres des réseaux électriques, engendrant à la fois un besoin significatif en réseaux (pour intégrer une fraction croissante de la production renouvelable et bénéficier du foisonnement des productions intermittentes) et une baisse de leur taux d’utilisation (liée à l’autoconsommation et à la décentralisation de la production). La demande apparente vue des réseaux de transport diminuera fortement du fait du développement de la production décentralisée, mais les besoins en interconnexions augmenteront pour exploiter le foisonnement climatique et géographique des ENR. Ces dynamiques contradictoires créeront un risque d’actifs échoués.

  1. [Planification des réseaux électriques] – Sous peine de voir exploser les coûts du réseau, il deviendra de plus en plus nécessaire de coordonner les investissements de production et de réseaux de transport (voire de distribution)

Le passage à une proportion élevée d’ENR représentera une refonte complète des systèmes et des réseaux électriques, nécessitant une réflexion d’ensemble pour optimiser globalement les investissements dans les réseaux de transport (voire de distribution) et les moyens de production. Les problèmes de congestion observés dans des systèmes où les actifs de production sont éloignés des zones de consommation (ex. fermes éoliennes off-shore du nord de l’Allemagne, production solaire et éolienne au nord et à l’ouest de la Chine pour des centres de consommation industrielles à l’est et au sud) témoignent de l’importance de ces enjeux.

  1. [Flexibilité] – Le développement de nouvelles formes de flexibilité répondant aux enjeux d’insertion de la production renouvelable changera à la fois la nature des réseaux et leur exploitation.

Les besoins de flexibilité augmenteront et seront majoritairement pourvus via des outils décentralisés (stockage, effacement, modulation de consommation, batteries de VE, production décentralisée) nécessitant l’agrégation d’un grand nombre de points diffus ; les gestionnaires de réseau de distribution se transformeront en véritables opérateurs, responsables d’une gestion active du réseau et de l’organisation de marchés locaux de flexibilité. La coordination entre GRT et GRD dans l’exploitation et l’optimisation des sources de flexibilité (question de l’optimisation globale / optimisation locale) deviendra un enjeu essentiel.

  1. [Stockage d’électricité]–En tant qu’instrument de flexibilité, le stockage par batteries deviendra une composante essentielle du système électrique.

Le stockage massif de l’électricité, notamment par le biais des batteries de véhicules électriques, jouera un rôle essentiel pour permettre le bon fonctionnement de systèmes électriques décarbonés avec une haute proportion d’énergies renouvelables intermittentes. Il s’imposera grâce la baisse des coûts du stockage, similaire à celle que le photovoltaïque a connue.

  1. [Microgrids] – L’architecture hiérarchique descendante des grands réseaux évoluera vers un modèle articulant des grappes de microgrids.

Grace à l’association production renouvelable distribuée et stockage par batteries co-localisé, des microgrids permettant d’assurer localement l’approvisionnement des quartiers se développeront de façon rentable là où les conditions économiques et réglementaires le permettent. Sur des zones géographiques affectées par des événements climatiques extrêmes – les Etats-Unis par exemple – ils se développeront en raison de leur résilience, même si leur coût est plus élevé. Dans les pays émergents ne disposant pas déjà d’un réseau, l’électrification se déploiera sur la base de microgrids, progressivement connectés entre eux. Sauf cas particulier (systèmes isolés, absence de réseau fiable, électrification en Afrique dans les phases de développement), ils resteront connectés au réseau principal afin de bénéficier des effets de foisonnement demande et production.

  1. [Rôle des marchés de gros de l’électricité] – La capacité des marchés de gros à envoyer des signaux de prix pertinents pourrait être remise en cause. Le market design devra être adapté de façon à réintroduire des signaux de prix ou des contrats de long terme

Le paradigme du marché de gros de l’électricité (demande rigide et production flexible) sera progressivement renversé : la production devient plus rigide (avec une augmentation de l’injection d’électricité fatale) alors que la gestion dynamique de la demande permet de la rendre de plus en plus flexible. De son côté, le stockage rendra plus flexibles aussi bien l’offre que la demande. Les volumes de production à coût marginal nul viendront peser sur la formation des prix, ce qui pourrait remettre en cause leur capacité à assurer une couverture des coûts complets des investissements (coûts marginaux de long terme).

Dans ces conditions, le marché de gros pourrait ne plus être une référence pertinente pour le signal prix d’investissement – même si des exemples récents montrent que des investissements dans de grandes infrastructures renouvelables sur la base de signaux de prix marché ne sont pas impossibles. Inversement, le développement d’outils comme le stockage et la modulation de consommation pourrait renforcer la pertinence des prix de marché. Dans tous les cas, le marché de gros continuera en revanche à orienter le dispatching selon des critères économiques.

  1. [Systèmes gaziers] – En Europe, les infrastructures gazières continueront à jouer un rôle important notamment pour faciliter la transition énergétique

En Europe, les infrastructures gazières continueront à jouer un rôle important sous l’effet de plusieurs facteurs : une substitution vers le gaz « vert », la croissance des usages mobilité, une contribution du gaz restant importante pour le passage de la pointe hivernale en complément de l’électricité décarbonée. Toutefois, la baisse de la demande gazière doit conduire à ne pas envisager de nouveaux investissements d’infrastructure en dehors d’enjeux de sécurité d’approvisionnement ou de développement du gaz « vert » (flux rebours, etc.)

  1. [Hydrogène] – A long terme, une économie de l’hydrogène pourrait émerger

A long terme, sous réserve d’une décroissance des coûts, l’hydrogène pourrait devenir un vecteur important dans les systèmes énergétiques, permettant de stocker l’énergie ou de la déplacer de zones à coûts de production favorables pour le renouvelable (pour le PV : le Chili, le Mexique, l’Australie, le Moyen-Orient…) vers les zones de consommation. L’hydrogène pourrait apporter une réponse pertinente à des besoins spécifiques sur certains segments de la mobilité mais surtout à une décarbonation massive des systèmes électriques et gaziers, en combinaison avec la production électrique renouvelable.

  1. [Consommateurs & fournisseurs] – L’émergence des nouvelles technologies permettra au consommateur de prendre le contrôle sur son approvisionnement énergétique et sa consommation

De nombreuses alternatives au « fournisseur classique » s’offriront aux consommateurs pour s’approvisionner. Le consommateur particulier ou PME sera de plus en plus souvent auto- producteur, à hauteur de plusieurs millions dans chacun des principaux pays européens. Il pourra se procurer de l’électricité sur des plateformes « peer-to-peer » (sous-tendues par exemple par la technologie blockchain), lui permettant de sélectionner à son gré l’énergie provenant d’actifs de production identifiés et localisés (logique de circuits courts) et/ou de vendre sa propre production excédentaire. Pour les grandes entreprises, les contrats d’achat long terme directs avec des producteurs d’énergie renouvelable (PPA) se développeront à grande échelle dans tous les pays développés. Pour les particuliers comme pour les entreprises, les solutions innovantes de gestion de la demande (big data, IoT, smart metering, intelligence artificielle) offriront de nouvelles opportunités de maîtrise de leur consommation.

  1. [Rythme de changement de l’industrie] – Sous l’effet des nouvelles technologies et des enjeux sociaux et environnementaux, le rythme du changement d’une industrie traditionnellement très inertielle va s’accélérer considérablement

La décroissance des coûts (PV, batteries) et le progrès technologique (taille et puissance des nouvelles générations d’éoliennes off-shore) des différentes filières renouvelables se sont considérablement accélérés ces dernières années. A cette tendance, s’ajoute l’entrée en force des technologies de l’information dans le secteur (blockchain, big data, IoT, smart metering, Intelligence Artificielle). Ces dynamiques sont en train de refaçonner à un rythme sans précédent une industrie d’infrastructures aux constantes de temps longues, avec pour conséquence des risques d’apparition d’actifs échoués.

<http://fichiers.cre.fr/Etude-perspectives-strategiques/1SyntheseGenerale/Perspectives_Strategiques_du_secteur_de_l_energie_Synthese_generale_FR.pdf>

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