Plusieurs interventions très récentes plantent le débat sur les défis auxquels sont confrontées les universités, avec une attention toute particulière apportée à leur modèle économique, alors que la Stratégie nationale de l’enseignement supérieur (STRANES) est attendue d’une semaine à l’autre, maintenant qu’un Secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche est de nouveau en action.
23 présidents d’universités viennent de signer une tribune publique sur le thème « universités et territoires » qui présentent 12 propositions pour améliorer l’articulation entre universités et territoires.
Simone Bonnafous, Directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP), a été auditionnée sur l’exécution des crédits 2014 des programmes 150 et 231, par la commission des Finances de l’Assemblée nationale.
Jean-Richard Cytermann, chef de l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR), s’est exprimé lors du colloque de l’association des directeurs généraux des services des universités (ADGS).
L’Association des Universités Européennes (EUA) vient de publier un rapport sur le financement des universités fondé sur la performance.
23 présidents d’universités s’interrogent sur le modèle économique des universités
Ce sont 23 présidents d’universités[1], convaincus de l’importance des enjeux scientifiques, économiques, sociaux et culturels pour la France et aussi de la volonté publique de soutien à l’ESR, adossé à la reconnaissance de la diversité des réussites, qui viennent de signer une tribune publique sur le thème « universités et territoires », dans laquelle sont listées 12 propositions pour améliorer l’articulation entre universités et territoires. Parmi celles-ci, ils estiment qu’une réflexion globale sur les modes de financement de l’ESR et leurs conséquences sur les territoires doit être menée rapidement.
Voici l’ensemble de leurs propositions :
Un modèle politique inclusif : Entre impératif de proximité et nécessité de concentration, seule une politique d’aménagement du territoire pensée et portée avec conviction peut construire une réponse pertinente et durable.
- La liaison organique entre l’État et les universités doit être maintenue et renforcée, et celle avec les collectivités territoriales confortée.
- Le lien indissociable entre la formation et la recherche au sein des universités, quelle que soit leur taille, doit être réaffirmé.
- La différenciation entre universités justifie qu’elles ne poursuivent pas toutes une même stratégie à l’international (stratégie de niche, de classement…), tout en développant des projets de qualité en formation et en recherche sur un territoire donné.
Un modèle académique simplifié : La loi de 2013 porte une volonté d’accélération d’un rapprochement territorial qui était déjà entamé. Pour autant, les formules proposées doivent être simplifiées et assouplies, montrant ainsi la confiance dans l’autonomie des établissements et l’esprit de responsabilité de leurs équipes dirigeantes.
- Les modes de constitution et d’administration des regroupements d’universités doivent être simplifiés pour rendre les fonctionnements humainement et financièrement soutenables.
- La gouvernance des regroupements doit permettre à tous les établissements non seulement de pouvoir s’exprimer mais d’être entendus.
- Les moyens accordés aux Comue doivent être affectés en interne de manière équitable.
Un modèle économique pérenne : Le sous-encadrement, les effets de taille, le soutien à des antennes universitaires de proximité créées par l’État, doivent, entre autres, être pris en compte.
- Une réflexion globale sur les modes de financement de l’ESR et leurs conséquences sur les territoires doit être menée rapidement.
- Doivent être programmés de toute urgence, dans le cadre du service public de l’ESR, un financement de l’ESR à la mesure des missions qui lui sont assignées, des ambitions de développement de notre pays, de sa place à l’échelle internationale. Dans ce but, la mise en place d’un plan pluriannuel de l’emploi scientifique, intégré dans une loi de programmation des finances publiques, est urgente et indispensable.
- Des jurys distincts doivent être constitués pour les programmes IDEX et ISITE, qui promeuvent tous les deux l’excellence mais sur des fondements différents.
- Les critères d’attribution des PIA doivent se fonder prioritairement sur le projet académique et son apport à la construction territoriale des sites ; ils doivent être effectivement différenciés dans les délibérations des jurys.
- Le PIA 3 doit être confirmé dans cet esprit, précisé et ses critères d’attribution doivent intégrer une logique de territorialisation.
Pour travailler l’ensemble de ces propositions, une réflexion commune doit être engagée rapidement.
La DGESIP travaille sur la différenciation du financement des universités
Est-on capable, dans la situation budgétaire actuelle, de différencier notre soutien entre, par exemple, les universités de proximité et celles réalisant un effort soutenu en matière de recherche ? s’interroge Simone Bonnafous, auditionnée par la commission des Finances de l’Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2014. Nous y travaillons, mais nous n’avons pas trouvé de solution définitive. Encore faut-il avoir des chiffres ! La DGESIP travaille à l’amélioration des SI, afin de pouvoir connaître l’allocation du PIA par établissement. Simone Bonnafous précise que dans une période budgétaire contrainte, les moyens extra-budgétaires comme le PIA sont primordiaux ; à ce titre, nous travaillons à l’amélioration des systèmes d’information, afin de pouvoir connaître l’allocation du PIA par établissement – celui-ci étant attribué à des consortiums. Dans ma lettre de mission, la ministre m’a demandé, en effet, d’améliorer la consolidation des crédits budgétaires et extra-budgétaires.
L’enseignement supérieur restant une priorité budgétaire, les crédits du programme 150 [formations et recherche universitaires] ont progressé de 0,3 % en 2014 par rapport à 2013, ce qui a permis de prendre en charge les 980 emplois créés. … Néanmoins, le programme a participé à l’effort national de maîtrise des dépenses publiques à hauteur de 52 M€, dont 22 M€ d’économies sur les actions transversales et 30 M€ de baisse des financements consacrés à la réhabilitation du campus de Jussieu, cette opération arrivant à son terme.
En réponse aux 23 présidents d’université qui ont demandé à ce que le modèle d’allocation des moyens budgétaires devienne différenciant et que le président de Paris-VI souhaite que le soutien à la recherche s’accroisse afin de mieux figurer dans la compétition internationale, la DGESIP s’interroge : Est-on capable, dans la situation budgétaire actuelle, de différencier notre soutien entre, par exemple, les universités de proximité et celles réalisant un effort soutenu en matière de recherche ? Tout le monde s’interroge sur cette question de politique publique générale : nous y travaillons, mais nous n’avons pas trouvé de solution définitive.
S’agissant du modèle d’allocation des moyens et de l’autonomie, la DGESIP assure que l’autonomie est un bienfait pour l’ensemble des missions de l’université, et la France accuse encore un retard par rapport à d’autres pays européens, estimant que le modèle d’allocation des moyens se trouve en panne pour les universités, car il n’y a pas de moyens budgétaires nouveaux. Ce modèle intègre le taux d’obtention du diplôme, mais la CPU a refusé de prendre en compte les taux d’insertion professionnelle malgré la demande de la Cdefi. … Les écoles d’ingénieurs nous ont cependant demandé d’adapter le modèle Modal afin d’introduire un indicateur d’insertion professionnelle permettant de les différencier entre elles.
http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cfiab/14-15/c1415094.asp
Les DGS des universités sont aux premières loges opérationnelles face à ces défis.
Lors du colloque de l’ADGS les 25 et 26 juin dernier, Jean-Richard Cytermann, chef de service de l’IGAENR, a évoqué les changements majeurs auxquels l’université est aujourd’hui confrontée. Des défis attendent [les DGS] et collectivement les universités, dans un monde qui évolue très rapidement et qui impose de poursuivre, sans doute à un rythme très accéléré, la modernisation des universités. Et cette modernisation passe par des innovations dans le domaine des administrations. Il a mis en avant quatre défis majeurs :
- redéfinir le modèle économique des universités, dans un contexte de contrainte des finances publiques, au niveau local comme national, mais aussi dans une logique de diversification des ressources. Ce qui suppose de définir encore davantage les priorités » dans la plupart des domaines : formation, politique immobilière, recherche, etc. ;
- faire vivre les regroupements universitaires, en trouvant un équilibre entre « différenciation » et « coopération », synonyme d’efficacité et de maîtrise des coûts;
- faire face à une certaine concurrence, entre les universités et les autres formes d’enseignement supérieur, et entre les universités françaises et les établissements à l’étranger, principalement dans le domaine de l’accueil des étudiants mais aussi des chercheurs étrangers ;
- le quatrième défi est celui des changements induits par le développement du numérique, dont les uns et les autres peinent encore à entrevoir toutes les compétences.
L’EUA s’intéresse au financement des universités fondé sur leur performance.
Dans un rapport publié le 1er juillet, l’EUA émet une série de recommandations aux décideurs publics et aux universités souhaitant instituer un mécanisme de financement fondé sur la performance. L’association adresse également des préconisations aux universités, dont le fait de s’impliquer dans la conception du mécanisme, de se coordonner entre universités, de mettre en place un système de redistribution interne du financement ou encore d’établir un dialogue avec les autorités publiques.
Le financement fondé sur la performance existe, d’une manière ou d’une autre, dans la plupart des systèmes d’enseignement supérieur en Europe. Mais souvent, de soi-disant mécanismes axés sur la performance ne le sont pas entièrement, ce qui rend les comparaisons entre systèmes compliquées. Ce mécanisme doit être utilisé avec vigilance. Cela peut accroître la transparence de l’allocation du financement mais les effets sont difficiles à contrôler et dépendent d’autres facteurs. En outre, il est impossible d’évaluer en quoi ce système accroît la qualité des universités, du fait des risques et dommages collatéraux qu’il peut avoir. Pour limiter ces dommages collatéraux, l’EUA fait une série de recommandations aux décideurs publics et aux universités, telles que …
Pour les décideurs publics :
- Prendre en compte le coût de la structure quand est fixée la part du financement allouée selon la performance.
- Allouer une somme supplémentaire basée sur la performance, ne pas axer l’intégralité du financement sur ce principe.
- Renforcer l’autonomie institutionnelle des universités et leur permettre de développer leur propre stratégie.
- Être clair à propos des objectifs de cette mesure.
- Décider s’il s’agit de redistribuer des fonds limités, ou d’une expérience visant à accroître la performance des établissements.
- Consulter le monde universitaire pour décider des indicateurs utilisés.
- Prendre en compte la diversité des profils institutionnels et des missions des universités.
- Ne pas utiliser des indicateurs qui étaient initialement développés pour d’autres mécanismes de financement, car cela détériore le système.
- Réduire au maximum l’effort des administrations pour collecter les données.
- Faire attention aux indicateurs et objectifs contradictoires.
- Éviter les indicateurs sur lesquels les universités ont peu d’influence, comme le taux d’employabilité.
- Évaluer les effets indésirables, tant que possible, et avant la mise en place de la réforme.
- Prévoir une phase de transition lors de la mise en place de la mesure, ainsi que des retours réguliers des possibilités d’adaptation.
Pour les universités :
- S’impliquer dans la conception du mécanisme, et impliquer l’ensemble de la communauté universitaire.
- Se coordonner entre universités, par exemple via la structure nationale les regroupant, pour faire porter sa voix et donner des opinions constructives.
- Mettre en place un système de redistribution interne du financement, fondé sur les priorités institutionnelles.
- Établir un dialogue avec les autorités publiques.
- Identifier les priorités institutionnelles et développer une stratégie pour gérer le changement de système de financement.
- Éviter les liens directs entre la rémunération et le développement de la carrière du personnel, et les indicateurs de performance car cela peut avoir des effets inattendus.
- Établir des mécanismes de qualité interne soutenus et développer une culture de la qualité.
Voir aussi http://science-innovation-developpement.com/du-bon-usage-du-financement-de-lexcellence/
Perspectives
Certains sujets tabous hier le sont moins aujourd’hui. La question du modèle économique des universités, de leur trop forte dépendance au budget de l’Etat, du trop faible coût des inscriptions (comparativement aux universités étrangères ou à d’autres établissements d’enseignement supérieur en France) est désormais sur la table. Les frais d’inscription ne contribuent qu’à moins de 2% au budget des universités. Remarquons aussi que si les universités vivent à plus de 80% du budget de l’Etat, celui-ci n’est représenté à leur conseil d’administration que par le recteur d’académie, chancelier des universités, qui n’a même pas de droit de vote. Et c’est peut-être par là qu’un autre grand tabou des université s’effrite : leur gouvernance.
Gageons que la STRANES, attendue depuis plus d’un an (demandé pour juin 2014 dans le mandat) saura, sinon traiter, au moins évoquer d’autres tabous qui empêchent les universités françaises de tenir leur rang au niveau mondial, en particulier la question de la sélection, la notion d’excellence pour tous ayant des effets pervers, à tous les niveaux.
__________________________
- [1] Pau et Pays de l’Adour ; Reims Champagne-Ardenne ; Toulon ; Rennes-II ; Littoral; Maine ; Montpellier-III Paul-Valéry ; Haute-Alsace ; Poitiers; Perpignan Via Domitia ; Artois; Antilles ; Toulouse – Jean Jaurès ; Valenciennes ; Bretagne-Sud ; Havre ; Réunion ; Angers ; Caen-Normandie ; Paris-VIII Vincennes Saint-Denis ; François-Rabelais Tours ; Savoie Mont-Blanc.
Selon moi, ce n’est pas davantage de ressources brutes ou plus de gouvernance qu’il faut aux universités ; c’est que les acteurs locaux et régionaux qui ont le potentiel de valeur ajoutée (les entreprises principalement) aient autorité au sein de l’université pour choisir les enseignements et décider les orientations au détriment de l’ancien pouvoir central (Min des universités) et passé au local (les auto-pouvoirs proclamés) des dirigeants actuels de ces universités sans le sou.