Excédées par les énormes coûts de transaction nécessaires à la création des Comue (communauté d’universités), les grandes écoles ont insisté, lors du congrès annuel de la CGE des 2 et 3 octobre 2014 à Strasbourg, pour que soit appliquée une logique projet et non une logique structure (voire une logique de pouvoir) dans la démarche de constitution de grands pôles d’enseignement supérieur (communauté tels les Comue, fusion ou association). Après un exposé du constat, des difficultés et des risques, des pistes de solutions ont été présentées qu’il est intéressant de partager (le verbatim en italique) sur ce blog afin d’en renforcer le caractère d’échange d’information et de réflexion sur l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation.
Logique de projet versus logique de structure
Est-on dans des logiques de structures, de projets ou de pouvoirs ? se sont interrogés les participants. Est-on dans une logique de développement territorial, qui implique de n’exclure aucun acteur, ou dans une logique de visibilité internationale, qui impose la constitution de gouvernances puissantes et de politiques de marques ? Les énormes coûts de transaction qu’engendrent ces constructions à acteurs multiples sont-ils légitimes par rapport à la création de valeur, qui reste à démontrer ? Enfin, au moment où l’on assiste à un éclatement de la chaîne de valeur dans l’enseignement supérieur, notamment à cause des TIC, qui requiert de l’agilité et de la confiance, notre énergie ne devrait-elle pas être mise au service d’une réflexion sur les nouveaux modèles économiques à inventer ?
Le péché originel sur la méthode
Certains remettent en cause le « péché originel sur la méthode« . Personne ne remet en cause la loi et la nécessité de ces mouvements. Mais il y a eu un péché originel sur la méthode. (…) L’État, et le ministère, confondent le pilotage et la gestion. La négation de l’autonomie des établissements est derrière nous, mais cette culture est toujours là. Ainsi, le ministère a gardé un silence assourdissant sur la question de savoir qui devait se mettre autour de la table, mais en même temps, il intervient sur les microtextes, attaquant directement l’autonomie des établissements ! (…) On nous dit que ce qui est important, c’est le projet, mais qu’il faut une version 0 des statuts pour le 15 avril…
N’y aurait-il pas aussi un problème idéologique des pouvoirs publics, qui, dogmatiquement, considèrent que les universités doivent avoir le leadership… et ce, même si les grandes écoles forment environ 40 % des diplômés au niveau master en France.
Idéologie et dogmatisme ?
Tous les acteurs sur un site n’attendent pas la même chose et ne veulent pas la même chose. Le risque est donc grand d’aboutir à la rédaction d’un texte a minima, vers lequel tout le monde va à reculons, parce que c’est la loi. Depuis la loi Pécresse, les universités ne seraient-elles pas devenues des outils politiques, investies par les acteurs politiques qui ont des ambitions ? se sont interrogés les participants. Il ne faut pas croire que les Comue sont des créations des universités et des écoles. Il y a des forces en présence, qui agissent en fonction de leurs territoires. C’est pour cela qu’il y a autant de Comue différentes qu’il y a de territoires différents.
Se regrouper est-il la meilleure réponse aux enjeux actuels qui demandent de l’agilité et de la réactivité ? (…) La chaîne de valeur de l’enseignement supérieur est questionnée par tout le monde. (…) Le modèle de l’Ivy League n’est pas réplicable. Faire un MIT à la française, ce n’est pas possible, tout simplement parce que le MIT a 20 milliards de dollars dans ses comptes en banque. Il va donc falloir inventer un modèle. Et la Comue, ce n’est pas un modèle. Dans le monde des nouvelles technologies de l’information et de la communication, les maîtres mots sont ‘agilité‘ et ‘réactivité‘. Ainsi, nous avons de belles choses à développer à l’international, mais les regroupements sont-ils une réponse pour cela ? Peut-être que certains regroupements en France ont une chance de devenir cohérents, capables de recruter d’excellents étudiants, de générer des financements privés et de créer des emplois. Mais nous allons être challengés par d’autres modèles, complètement différents, certains prétendant même qu’il ne faut plus lier enseignement et recherche… Comment allons-nous nous adapter à cela ?
Les propositions des grandes écoles
Au moment où la stratégie nationale de l’enseignement supérieur devrait être fixée (voir http://science-innovation-developpement.com/strategie-nationale-de-lenseignement-superieur-les-preconisations-du-comite-stranes/) de même que la stratégie nationale de recherche attendue elle aussi pour cet automne, les dirigeants des grandes écoles ont émis des pistes de solutions. Certaines sont cohérentes avec les réflexions récemment menées outre-Atlantique (voir http://science-innovation-developpement.com/quel-futur-pour-lenseignement-superieur-aux-etats-unis/).
Parmi les propositions faites, les dirigeants des grandes écoles considèrent qu’il faut avant tout « laisser davantage d’autonomie aux acteurs« .
La crainte de voir le mode de gouvernance de l’université à la française s’imposer à tous est exprimée. Il faut rester une fédération d’établissements à l’autonomie préservée. Il faudrait réduire la taille des structures, permettre aux écoles de conserver leur gouvernance et appliquer le principe de subsidiarité.
C’est une question qui a été très peu abordée au sein des Idex, mais il faudrait favoriser l’engagement des entreprises dans l’ESR et dans les Comue, ce qui est complètement cohérent avec le discours politique sur l’innovation et la place des entreprises au côté du monde académique pour augmenter la compétitivité de la France.
Plagiant J.F. Kennedy, un intervenant suggère qu’au lieu de nous demander ce que nous transférons à la Comue, il faudrait être capable de se demander ce que chacun porte pour la Comue. Cela serait porteur d’avenir.
S’agissant des luttes de pouvoirs, certains directeurs se sont clairement exprimés. Si on est dans des luttes de pouvoir, il n’y aura pas un vainqueur et un vaincu, mais deux morts. Pendant que nous nous battons entre nous, dans le monde entier, il y a des gens qui courent très vite. (…) Il est impératif de se mettre tous ensemble. (…) Ce n’est pas en rendant malades les bien portants qu’on soignera les malades.
Il faut lever l’ambiguïté de la priorité entre échelon régional et international. Il faut poser clairement la question de la priorité du regroupement (…) Georgia Tech développe la Géorgie et l’université de Madison développe le Wisconsin, pas les États-Unis. (voir une évocation du modèle économique de Georgia Tech sur ce blog http://science-innovation-developpement.com/lenseignement-superieur-est-il-regalien/). Si on est dans une logique mondiale, alors on est dans une logique de marque, et il faut se donner les moyens, en termes de gouvernance, de la mener. On peut aussi donner la priorité à un développement régional – qui peut amener une visibilité internationale par ailleurs – mais dans ce cas, le mode de gouvernance est différent. Les deux logiques sont nobles, l’une n’exclut pas l’autre, mais il faut se poser cette question.
La secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche a clôturé ce congrès en cherchant à rassurer au travers d’une « double conviction : d’une part, que l’enseignement supérieur est un ensemble divers, qui a besoin de la diversité que vous représentez, mais d’autre part, que notre pays a besoin d’un enseignement supérieur uni dans cette diversité autour des mêmes ambitions. (…) Rien n’est figé pour l’éternité. Une soixantaine d’écoles ont rejoint les 25 regroupements existants. Les lignes bougeront, il y a un temps d’appropriation nécessaire. Ce sont des organismes vivants et évolutifs a t’elle affirmé.
Il serait par ailleurs extrêmement intéressant que les établissements de recherche établissent eux aussi et ensemble leur propre vision du constat et élabore des propositions car, au même titre que les grandes écoles, ils sont à vocation nationale mais entraînés dans le grand barnum des regroupements régionaux de l’enseignement supérieur et la recherche.