Le démantèlement des installations nucléaires

Si la France a un bilan carbone par habitant moitié moindre que l’Allemagne, elle le doit notamment à sa production électro-nucléaire. Outre un niveau d’excellence en matière de sûreté et sécurité nucléaire, cette filière nécessite de répondre aux questions du renouvellement progressif du parc actuel, de la gestion des déchets et du démantèlement des installations.

S’agissant de ce dernier point, un récent rapport propose des mesures susceptibles d’améliorer la réalisation technique et opérationnelle des chantiers de démantèlement des installations nucléaires civiles et de favoriser la constitution d’une filière industrielle française du démantèlement nucléaire. Ses conclusions sont ici reprises.

La législation française prévoit que les opérations de démantèlement sont effectuées dès que possible après l’arrêt de l’installation (principe dit du « démantèlement immédiat »). Ces opérations sont réalisées sous la responsabilité de l’exploitant concerné (EDF, CEA ou Orano), en partie par l’exploitant lui-même, en partie par des sous-traitants : grands groupes de BTP et d’ingénierie (Bouygues, Eiffage, Vinci), de services (Veolia, Onet, …), ETI et PME actives dans le domaine nucléaire. La répartition des rôles de chacun tend à évoluer au profit d’une internalisation des tâches au sein d’entités spécialisées créées par les exploitants (Edf et Orano). Les chantiers comportent une première phase qui vise, d’une part à laisser refroidir puis évacuer le combustible (ou plus généralement le terme source principal), d’autre part à recueillir les autorisations administratives et préparer le chantier. Dans une seconde phase, les installations sont déconstruites. Les opérations de la première période sont très spécifiques et sensibles, celles de la seconde d’une nature banale (démontage, découpe…), mais effectuées en partie dans des zones potentiellement contaminées, ce qui nécessite des mesures de protection individuelles et une maîtrise d’œuvre adaptées. 

Dans le cas particulier des réacteurs à eau sous pression (REP), le coût de démantèlement est estimé par EDF à environ 400 M€ (soit un rapport de 1 à 20 avec la construction), le chantier faisant intervenir en moyenne 80 ETP pendant chacune des 15 premières années (soit un rapport d’1 à 5 avec l’effectif d’exploitation). Les types d’emplois ne sont pas non plus les mêmes puisque les opérations de déconstruction requièrent des qualifications moindres. L’incidence d’un chantier de démantèlement sur le chiffre d’affaires des entreprises et sur l’emploi est donc bien moindre que dans le cas de la construction ou de l’exploitation d’une centrale. 

51 installations nucléaires civiles sont actuellement à l’arrêt en France (36 du CEA, 9 d’EDF et 6 d’Orano). Le premier réacteur à eau sous pression (REP) « de série » est mis à l’arrêt, à Fessenheim, en février 2020. Le gouvernement prévoit la fermeture de 14 réacteurs d’ici 2035. 

La plupart des pays étrangers concernés sont dans une situation similaire (démantèlement en cours, mais non achevé). Si l’Allemagne, la Belgique et le Japon préconisent, du moins officiellement, le « démantèlement immédiat », le Royaume Uni, à l’inverse, privilégie la mise sous cocon des installations après évacuation du combustible (afin que la radioactivité du site diminue avec le temps et que le chantier de démantèlement ultérieur soit plus facile et moins coûteux). Les États-Unis, pour leur part, offrent les deux possibilités (démantèlement immédiat ou mise sous cocon), mais, surtout, permettent que la responsabilité du démantèlement soit transférée de l’exploitant à une entreprise tierce spécialisée. 

Le marché mondial du démantèlement peut être estimé à 300 à 600 Md€ sur un siècle, pour 450 réacteurs devant être arrêtés au cours des 50 prochaines années. La plupart des pays souhaitant que le maximum de tâches soit effectué par de la main-d’œuvre locale, les entreprises françaises ne peuvent espérer agir à l’international que dans l’ingénierie ou certaines tâches qui nécessitent des appareillages spécifiques ou une expérience reconnue. 

Le comité stratégique de filière, avec le syndicat professionnel (GIFEN), pourrait utilement élaborer un document recensant, d’une part le marché potentiel du démantèlement dans la prochaine décennie, tant en France qu’à l’étranger, d’autre part les compétences existant dans la filière française et ses points forts. Pour améliorer ses chances de conquérir des marchés à l’étranger, la profession pourrait davantage s’organiser concrètement (participation aux salons, élaboration d’un guide du savoir-faire français, etc. voire constitution d’un GIE). 

La mission ne recommande pas de modifier la règle du caractère immédiat du démantèlement, dont elle souhaite seulement qu’elle soit appliquée avec le discernement et les nuances que les textes prévoient, ni de remettre en cause la pratique que le démantèlement soit réalisé sous la responsabilité de l’exploitant initial. Elle observe que la France est un des rares pays à considérer que tout objet ou toute matière qui a pénétré dans une zone potentiellement contaminée doit être traité comme un déchet nucléaire et donc ne peut pas être réutilisé quel que soit son niveau effectif de radioactivité : cette exigence, qui va au-delà de ce que prévoit la directive européenne, accélère la saturation des centres de stockage des matières nucléaires ; sans aller jusqu’à recommander que la France, comme ses voisins, instaure un « seuil de libération », la mission estime souhaitable de prolonger le dialogue engagé dans le cadre du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), pour examiner avec pragmatisme dans quelles conditions et avec quelles limites des adaptations du principe du zonage pourraient être apportées. Cette approche est sans doute la seule qui permette de progresser sur un sujet historiquement clivant, entre des industriels plutôt allants pour mettre en place un seuil de libération, et certaines ONG très réservées voire opposées, à cette démarche. Les mesures de contrôle et de surveillance nécessaires à toute évolution de la doctrine actuelle, leur coût, leur efficacité et leur crédibilité, seront un enjeu essentiel dans les futurs débats. 

Une meilleure coordination entre les industriels qui effectuent le démantèlement et l’ANDRA, qui est chargée du recueil et du traitement des déchets, permettrait de faciliter la réalisation des chantiers et de diminuer le coût de l’ensemble de la chaîne des opérations nécessaires jusqu’au stockage des déchets. De même, les exploitants pourraient utilement harmoniser, voire rendre interopérable, leur référentiel de qualification des sous-traitants. 

Les chantiers de démantèlement comportent inévitablement d’importantes incertitudes : les opérations de démantèlement ont rarement été prises en compte lors de la construction des installations et la constatation de situations imprévues entraîne nécessairement d’importantes difficultés compte tenu du risque de contamination. Aussi est-il indispensable de davantage « dérisquer » le projet de démantèlement avant de nouer les relations contractuelles entre les différents intervenants. A cette fin, la mission recommande qu’une opération de démantèlement fasse l’objet de deux appels d’offres successifs, le premier portant sur des études préalables approfondies de l’installation à démanteler et des contraintes techniques à prendre en compte pour réaliser les travaux, le second sur les travaux de démantèlement proprement dits. Pour la même raison, le contrat à prix forfaitaire est peu adapté à des chantiers comportant une part importante d’incertitude, si bien qu’il convient de préférer des formules contractuelles davantage partenariales (retenant des prix cibles ou la logique « cost + fee ») et fondées sur une matrice des risques détaillée indiquant la répartition entre les co-contractants des conséquences financières de la survenance de chacun. Ces deux évolutions des relations contractuelles, globalement souhaitées par les sous-traitants, pourraient aujourd’hui trouver un écho positif chez les exploitants, confrontés directement aux risques et aléas de tels chantiers, et à leur gestion. 

https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/cge/demantelement-nucleaire.pdf

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