La France se dote d’une stratégie de l’enseignement supérieur

La stratégie nationale de l’enseignement supérieur (STRANES) vient d’être remise au Président de la République, ce mardi 8 septembre 2015, à la fin d’un processus plus long qu’envisagé, juin 2014 étant la date cible du mandat. Ce document est long (215 pages plus les annexes, soit 249 pages) et riche.

La réflexion présente dans ce rapport est certes courageuse, ne serait-ce que par son existence même, et s’attaque à certains tabous mais n’apparaît qu’à demi réaliste et motivante, étant très tournée vers l’intérieur du monde universitaire.

150908 Logo Stranes

Cette stratégie était prévue dans la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche de juillet 2013 (loi « Fioraso ») : Une stratégie nationale de l’enseignement supérieur, comportant une programmation pluriannuelle des moyens, est élaborée et révisée tous les cinq ans sous la responsabilité du ministre chargé de l’enseignement supérieur.

Dans un article dédié aux premières préconisations du comité STRANES, à l’analyse du rapport intermédiaire, http://science-innovation-developpement.com/strategie-nationale-de-lenseignement-superieur-les-preconisations-du-comite-stranes/, j’écrivais en conclusion « Le monde de l’enseignement supérieur mérite une réflexion stratégique courageuse, réaliste, sans tabou et motivante. »

Qu’en est-il du long rapport final au vu d’une analyse rapide ?

Sans rentrer dans le détail de ce document, qu’il me soit permis de présenter une analyse personnelle donc forcément partiale et partielle.

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Cette stratégie a été établie dans un contexte particulier où l’écosystème de l’enseignement supérieur, avance à marche un peu forcée dans ses nécessaires adaptations aux changements du monde, faute d’avoir fait (ou su faire ou pu faire) les réformes nécessaires au fil de cette évolution. Certaines composantes importantes de cet écosystème sont très rétives aux changements et assez peu ouvertes à l’extérieur de leur communauté propre, fut-elle internationale.

Ce contexte et cette situation font que cette stratégie souffre de divers maux dont 3 sont à mentionner.

La STRANES traite principalement de l’interne du monde universitaire

On ne peut qu’être d’accord sur les 5 axes stratégiques, forcément un peu incantatoires (c’est la règle éditoriale du genre), sous-tendant cette stratégie :

  1. Construire une société́ apprenante et soutenir notre économie
  2. Développer la dimension européenne et l’internationalisation
 de notre enseignement supérieur
  3. Favoriser une réelle accession sociale et agir pour l’inclusion
  4. Inventer l’éducation supérieure du XXIème siècle
  5. Répondre aux aspirations de la jeunesse

Trois leviers sont proposés

  1. Dessiner un nouveau paysage pour l’enseignement supérieur
  2. Écouter et soutenir les femmes et les hommes de l’enseignement supérieur
  3. Investir pour la société apprenante et adapter les financements aux besoins

Ils se déclinent en 40 propositions pour une société apprenante.

On peut regretter que l’analyse qui en est faite et les 3 leviers proposés soient très tournés vers l’interne du système universitaire et comporte trop d’efforts à faire … par l’extérieur de ce système :

  • Un effort nécessaire de la France et de l’Europe : répondre aux besoins de financement de l’enseignement supérieur
  • Un effort nécessaire pour l’Union européenne : reconnaître l’enseignement supérieur de la recherche
  • Un investissement des entreprises nécessaire pour soutenir le besoin d’élévation des qualifications
  • Accompagner la transition vers l’éducation supérieure du XXIème siècle : un « Programme Investissements d’Avenir » dédié à la transformation pédagogique

De plus l’enseignement supérieur n’est pas (certains le regrettent sans doute) l’apanage des universités. Ce sont 40 % des diplômés de l’enseignement supérieur au niveau master qui sortent des grandes écoles, où moins de la moitié des élèves sont passées par les classes préparatoires. Ces grandes écoles, leur apport à l’enseignement supérieur et leur capacité à répondre aux besoins socio-économiques (extrait de la lettre de mission à la présidente du Comité) sont étrangement discrets dans ce rapport. Amusons nous, d’ailleurs de l’expression grandes universités et écoles présentes dans la lettre de mission…

Ceci explique sans doute que le terme grande(s) école(s), au delà de la mention de la « Conférence des Grandes Ecoles » (CGE) et des « Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles » (CPGE) n’apparaît que 2 fois dans le corps du rapport, et encore, au sujet de leur financement : page 144, dans le cadre de la charte pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’enseignement supérieur ; page 159, pour regretter une dépense publique élevée à des formations, notamment dans les grandes écoles ; page 162 pour souhaiter un rattrapage car la dépense moyenne par étudiant masque en effet de fortes disparités selon les filières
 de formations, d’abord entre CPGE, STS, grandes écoles, universités, … A ce titre, il serait intéressant de comparer des chiffres comparables,  par exemple en ne considérant que les étudiants sortant avec un diplôme au niveau master pour établir le coût d’un étudiant universitaire.

Remarquons d’ailleurs que les domaines où le coté professionnalisant des études à l’université est très fort sont aussi les domaines où n’existent pas de grandes écoles et où il est fréquent que les professeurs d’université aient une forte pratique privée en parallèle, tels la médecine et le droit.

Le désormais Secrétariat d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche doit certainement regretter que d’autres ministères techniques aient la tutelle principale de grands établissements d’enseignement supérieur. La MIRES (Mission Interministérielle Recherche Enseignement Supérieur) n’est-elle d’ailleurs pas devenue MIRES (MIssion Recherche Enseignement Supérieur) dans la partie Sigles et abréviations du rapport, perdant ainsi son caractère interministériel ? Ne serait-ce pas un acte manqué ?

La question de l’insertion professionnelle aurait mérité un meilleur traitement

L’objectif principal de l’étudiant (et de ses parents) en matière d’enseignement supérieur me paraît être d’acquérir les connaissances lui permettant d’avoir un emploi et une place dans la société. Or, la notion d’insertion professionnelle, si elle apparaît plus souvent dans le texte que dans le rapport intermédiaire de juillet 2014, reste là aussi un peu incantatoire. A la décharge du comité, rappelons que l’insertion professionnelle n’est un objectif des universités que depuis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi LRU ou loi Pécresse), du 10 août 2007.

La proposition 3, améliorer l’insertion professionnelle et développer l’alternance, est bonne en soi mais restreint trop le caractère professionnalisant à la mise en place d’un processus d’alternance. Et, dans le cadre de cette proposition, la mesure mobiliser le dispositif d’orientation pour favoriser les filières porteuses d’emploi ne précise pas comment les futurs recruteurs (hormis l’Etat) sont parties prenantes, surtout lorsque les acteurs mentionnés ne sont que l’État et les conférences d’établissements.

La réussite de l’étudiant n’est pas vue comme « avoir un emploi à la fin de ses études », mais « obtenir son diplôme ». Est-ce suffisant ? Combien y a t’il de diplômés bac plus 3, 4 ou 5 sortant de l’université et ne trouvant qu’un métier pour lequel il est surdiplômé, faute d’adéquation entre formation-diplôme et besoin du marché du travail ?

Le monde de l’économie privée est très absent de cette STRANES

Dans l’article de juillet 2014 de ce blog sur le rapport intermédiaire du Comité STRANES, j’écrivais : « On ne peut qu’encourager le Comité à poursuivre ses travaux vers la communauté (multiforme) des employeurs, publics ou privés ».

Le monde du « privé » apparaît encore très absent de cette stratégie alors que la lettre de mission de la Présidente du Comité posait la question, s’agissant des étudiants, Comment assurer leur insertion professionnelle, répondre aux besoins économiques et anticiper le monde et les métiers de demain ? et que l’économie privée est un vivier d’emplois pour les étudiants et de création de valeurs/richesses/compétitivité pour la France.

Sans aucun jugement de valeur, et de façon caricaturale sans doute, on peut dire que le public crée du confort (social, sécuritaire, …) et des normes de vie commune et que c’est majoritairement le monde de l’économie « privée » qui crée de la valeur et de la richesse. Avant de (re)distribuer des richesses, il faut les créer (monde privé) ou les obtenir (impôts, taxes, emprunts pour le secteur public).

Sur l’ensemble des auditions ou rencontres effectuées soit par l’ensemble du Comité, soit par la présidente ou le rapporteur général, soit environ 230 personnes, aucun entrepreneur du monde du privé (entreprises, services, …) n’a été auditionnée en tant que tel ! Aucun ! Seuls ont été auditionnés une délégation du MEDEF (4 personnes), un représentant de la CGPME et un représentant de l’UIMM, ainsi que 2 représentants de pôles de compétitivité.

J’ose penser que le monde de l’entreprise et des services a des idées sur les programmes, la façon de former de futurs professionnels, le lien enseignement supérieur/recherche/ innovation, l’employabilité des docteurs, voire le management des véritables entreprises que sont devenues les universités (encore trop auto-gérées). Dommage de se priver de ces idées.

L’économie privé est néanmoins mentionnée dans cette stratégie, en particulier pour lui demander d’embaucher davantage de docteurs (mesure Développer l’emploi des docteurs dans les entreprises) et de contribuer à financer les universités (page 159-160) alors que le monde de l’économie « privée » considère que les services publics de l’enseignement supérieur sont déjà financés par ses impôts et taxes (idem pour le monde de la recherche d’où un vrai problème français en matière de propriété intellectuelle, d’ailleurs), même si c’est via la réorientation des fonds
 de la formation professionnelle
. Ce n’est probablement pas la bonne méthode pour le nécessaire rapprochement des deux mondes.

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Néanmoins, cette stratégie existe et a plusieurs mérites au delà même de l’ouverture du débat sur l’enseignement supérieur en France, même si le traitement de ce débat apparaît à ce stade restreint et incomplet.

La STRANES répond à la commande.

Tout d’abord, cette stratégie répond à la lettre de mission de la Présidente du Comité, lettre en annexe du document. Ce sont les termes même de cette lettre de mission, très « fermés », qui a effectivement conduit à centrer l’élaboration de cette STRANES sur l’ »interne de la mécanique », principalement universitaire et peu tournée sur l’extérieur. Dans la lettre de mission, le monde économique n’est réellement mentionné que par la question, s’agissant des étudiants, Comment assurer leur insertion professionnelle, répondre aux besoins économiques et anticiper le monde et les métiers de demain ?

La STRANES ouvre des chantiers, tabous jusqu’alors

La réflexion autour de la stratégie nationale de l’enseignement supérieur ose s’attaquer à deux tabous : la sélection et le financement, même si les réponses ne sont pas entièrement satisfaisantes. Par exemple, et quoiqu’en pense le nouveau secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche, les universités n’échapperont pas à une augmentation des frais d’inscription (mesure à coupler avec une politique adaptée de bourses).

Le climat politique (la post-face sur les dramatiques attentats de Charlie Hebdo s’imposait-elle dans un tel document de stratégie ?), la mondialisation et la crise budgétaire n’ont probablement pas encore atteint un niveau suffisant pour que le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche accepte de voir la réalité socio-économique en face. Rappelons que d’autres écosystèmes, certes moins potentiellement bruyants (la STRANES met bien en avant le « fort potentiel de révolte » : 61 % des jeunes répondent qu’ils seraient prêts à participer à un mouvement de révolte de type Mai 68 « demain ou dans les mois qui viennent »), ont très fortement contribué à l’effort de la Nation, telle l’armée de terre qui a vu ses effectifs passer de 230 000 à 100 000 personnes de 1997 à 2014 alors qu’elle n’a jamais autant été mise à contribution à l’extérieur ou sur le territoire national).

La nécessaire réflexion sur ces deux sujets (sélection, financement) doit se poursuivre sans tabou, ne serait-ce qu’en engageant un dialogue ouvert et constructif avec l’ensemble des parties prenantes et en s’appuyant sur des opérations pilotes ici ou là.

La STRANES traite de vrais sujets pour s’adapter aux évolutions rapides du monde

La STRANES traite aussi de vrais sujets concernant l’adaptation de l’éco-système d’enseignement supérieur aux évolutions du monde telles la dimension internationale, le développement du numérique, la formation au long de la vie.

J’invite évidemment les lecteurs de ce blog à aller voir directement le texte et ses propositions.

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Les mentalités évoluent. Les travaux collectifs sur les COMUE ont permis à des acteurs qui (au mieux) s’ignoraient voire se méfiaient les uns les autres de se connaître, de progressivement se faire confiance, de coopérer. Des cloisons s’effritent, des barrières tombent, des dialogues s’établissent, l’agilité augmente peu à peu. Gageons que ce premier pas vers la mise en place d’une Stratégie nationale de l’enseignement supérieur (partie, avec la Stratégie nationale de recherche, du livre blanc de l’ESR) permettrait de soulever des questionnements, de préciser des directions et d’avancer collégialement avec l’ensemble des parties prenantes, concernées et intéressées par l’enseignement supérieur et la formation et l’adaptation de nos jeunes à la réalité du monde.

Il y a urgence. Comme l’exprimait hier Olivier Laboux, Président de l’université de Nantes : au-delà des problèmes budgétaires, le modèle universitaire est à bout de souffle : l’ascenseur social ne marche pas, la formation tout au long de la vie dans les universités n’est pas performante… J’ai la conviction qu’il faut revoir le modèle. 

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Une pensée sur “La France se dote d’une stratégie de l’enseignement supérieur

  1. Michel, j’aime bien ton analyse et sans avoir encore lu ce rapport, il me semble que l’effort fait ne représente que très peu de celui qu’il va falloir faire. Si on oublie les GE, les entreprises privées, l’apprentissage et le besoin d’aller vers l’emploi, cela finit par faire de gros trous dans le dispositif de l’enseignement supérieur. Des brèches donc oui, mais pas d’avancées pour le moment.
    Benoit
    PS : mon propos ne vise pas à rompre l’existant, mais à rompre avec les mauvais principes qui semblent le gérer encore.