L’inégalité des chances en France est d’abord une inégalité des chances éducatives. Tel est l’une des conclusions d’une étude de France Stratégie consacrée au lien entre l’origine sociale et le niveau de vie et intitulée Nés sous la même étoile ? Origine sociale et niveau de vie.
Cette étude pose la question du déterminisme social en France. Plus précisément, dans quelle mesure l’origine sociale détermine-t-elle le niveau de vie des individus ?
Sur la base d’un échantillon de population née en France et âgée de 27 à 44 ans, est étudié la variation du niveau de vie des personnes selon la profession de leur père. Les résultats surprennent moins par le constat lui-même que par son ampleur : la France, qui par ailleurs parvient à contenir le creusement des inégalités de revenus, accuse des inégalités de chances importantes, notamment aux deux extrémités de la distribution sociale. Un enfant de cadre supérieur a ainsi 4,5 fois plus de chances qu’un enfant d’ouvrier d’appartenir aux 20 % les plus aisés. L’origine sociale a un effet très discriminant sur l’accès à un niveau de vie élevé mais aussi sur le risque de faire partie d’un ménage pauvre.
L’analyse démontre aussi que les effets d’autres facteurs comme l’âge, le sexe ou l’ascendance migratoire, si souvent mis en avant, sont finalement faibles, voire négligeables, par rapport au poids de l’origine sociale.
Reste à cerner les canaux par lesquels s’opère cette influence. Le niveau de diplôme se révèle doublement déterminant : il influence directement le niveau de rémunération de l’individu mais aussi celui de son éventuel conjoint, qui appartient bien souvent au même milieu social que lui. L’inégalité des chances en France est d’abord une inégalité des chances éducatives.
Les conclusions sont donc les suivantes. Dans les générations qui ont aujourd’hui entre 30 et 45 ans, l’accès à un niveau de vie élevé comme le risque d’être en situation de pauvreté varient fortement selon l’origine sociale. Cet effet s’avère beaucoup plus déterminant que l’origine migratoire, le sexe ou l’âge de l’individu. Il s’explique largement par l’influence de l’origine sociale sur le niveau de diplôme atteint par les individus : l’inégalité des chances éducatives contribue pour moitié aux écarts de niveau de vie moyen entre enfants d’ouvriers et enfants de cadres et pour moitié également à l’écart de chances entre eux de faire partie des 20 % des ménages les plus aisés.
D’autres effets « hors diplôme » sont à l’œuvre, notamment l’homogamie sociale qui, couplée à l’influence sur la réussite éducative, conduit à ce que les conjoints des enfants d’ouvriers sont significativement moins diplômés que ceux des enfants de cadres. À l’inverse, les écarts de structures familiales (nombre d’enfants, situation maritale) entre classes sociales sont faibles et ne semblent jouer aucun rôle significatif sur les écarts de niveau de vie.
Le papier de France Stratégie propage des idées courantes en France mais probablement fausses.
Oui, il y a une forte corrélation statistique entre milieu social et réussite académique. On ne peut pas pour autant en déduire que ce serait principalement l’effet d’une « inégalité des chances éducatives ». Il y a d’autres explications possibles… et cela fait maintenant plusieurs décennies que les travaux scientifiques sérieux menés sur le sujet convergent pour montrer que, dans les pays dotés d’un système d’éducation publique universel de qualité correcte, la variation interindividuelle de performance académique est beaucoup plus liée au patrimoine génétique des individus qu’à leur environnement social. Ce qui est en particulier cohérent avec le fait que la corrélation milieu social – réussite académique s’effondre quand on considère le cas des enfants adoptés.
Ces études sont essentiellement anglo-saxonnes (USA et UK). Elles ne plaisent pas aux tenants de « l’égalité réelle » et font donc l’objet de controverses aux USA et en UK, mais leur influence s’y développe à mesure que les résultats de recherche s’accumulent tous dans le même sens. Elles sont me semblent-il très peu diffusées en France, où le terrain est toujours occupé par les héritiers de Freud et de Bourdieu, dont le credo est que l’environnement social explique toutes les différences interindividuelles.
Pour voir où en est la recherche anglo-saxonne, je recommande la lecture d’une synthèse récente sur le sujet : « Blueprint: How DNA Makes Us Who We Are » par Robert Plomin.
Ce livre sorti il y a deux mois a été commenté par de grands média comme the Guardian ou the Economist, mais va sans doute passer inaperçu en France…