L’Office parlementaires d’évaluation des choix scientifiques et technologiqus (OPECST) a organisé récemment une audition consacrée aux enjeux scientifiques et technologiques de la prévention et la gestion des risques accidentels. Cette audition faisait écho à deux évènements survenus en 2019 : l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris le 15 avril et l’incendie de l’entreprise Lubrizol à Rouen le 26 septembre. Dans les deux cas, des mesures sanitaires et environnementales ont dû être mises en place pour contrôler la dispersion de polluants émis par les fumées, tels que le plomb pour le cas de Notre-Dame et divers produits chimiques, dont des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), pour Lubrizol.

Recommandations
Au terme de cette audition publique, l’Office préconise de poursuivre la recherche dans l’ensemble des directions mises en avant par les différents intervenants. Il estime également important de :
• favoriser la mise en place de moyens plus performants de coordination et d’échange de données entre les différents acteurs impliqués lors d’accidents comportant des risques sanitaires et environnementaux ;
• mettre au point une méthodologie visant à établir des valeurs de référence avant contamination pour évaluer l’exposition à des substances polluantes des populations vivant dans des territoires déterminés, en vue de guider l’action des autorités dans le cadre de la gestion d’une crise, et élaborer un plan national de déploiement des mesures relatives à ces valeurs de référence ;
• favoriser le développement de moyens permettant d’acquérir le plus rapidement possible une connaissance précise des substances émises au cours d’un accident industriel, par exemple l’emploi de drones équipés de moyens d’analyse et de prélèvement les plus spécifiques possibles ;
• mettre systématiquement en place, après un accident, un suivi sanitaire et environnemental sur le long terme, en recherchant en priorité les contaminants les plus dangereux, afin de limiter les expositions à des risques chroniques ;
• impliquer plus fortement et plus activement les citoyens par des actions éducatives de prévention et en développant, par exemple, les groupes de « Nez experts », capables de détecter et de reconnaître rapidement les odeurs caractéristiques de certains polluants.

Déroulement
L’audition était articulée autour de deux tables rondes : la première centrée sur les mesures et les axes de R&D mis en place en amont des crises, dans une optique de prévention ; la seconde centrée sur la gestion de crise à court terme.
Le premier intervenant était Dominique Robin, d’ATMO Sud, association agréée par le ministère chargé de l’environnement pour la surveillance de la qualité de l’air de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Avec les régions Normandie et Auvergne-Rhône-Alpes, la région PACA accueille en effet de grands bassins industriels, soumis à un risque accru. M. Robin a insisté sur l’importance de la communication et du partage d’information dans ces zones sensibles, que ce soit avec les populations locales mais aussi avec les industriels et les autorités publiques. Cela passe notamment par l’implication active des habitants dans les mesures de prévention, avec, par exemple, la mise en place des «Nez experts» qui s’entraînent à reconnaître les odeurs caractéristiques de certains polluants afin de repérer rapidement les signaux faibles. En écho, le Lieutenant-colonel Libeau, de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, a souligné l’importance de ne pas « prendre [la population] pour des enfants » et de former les populations locales, dès l’école, aux gestes de premiers secours et aux comportements à adopter en situation de crise. Il a rappelé également l’importance de ne pas oublier les agents et les employés sur site dans les formations.
Les politiques de prévention de la pollution de l’eau, présentées par Véronique Heim, du Syndicat des Eaux d’Île-de-France (SEDIF), ciblent les risques de contamination des sources situées en amont des usines de traitement et des réseaux d’eau potable situés en aval. Des capteurs haute fréquence fixes ou mobiles (sur bouées) et des modèles numériques de transport des polluants permettent au SEDIF d’identifier rapidement l’origine d’une pollution et de déterminer les mesures adéquates. Les principaux axes d’amélioration portent sur le traitement analytique des données perçues (identification, quantification) ainsi que sur l’utilisation potentielle de drones.
L’emploi de cette technologie dans un cadre de gestion de crise a aussi été évoqué par les responsables de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), troisième acteur présent à cette table ronde, pour ses travaux de caractérisation d’incendie. Pour Bernard Piquette, directeur de la Direction des risques accidentels à l’INERIS, l’incendie tient une place particulière au sein des phénomènes dangereux, notamment en termes d’émission de fumées et de dispersion des polluants. L’INERIS mène un certain nombre de tests en interne et en collaboration avec différents acteurs afin de caractériser le comportement des incendies et d’identifier les produits de combustion accidentelle, différents par nature des inventaires réalisés avant incendie. Ces tests permettent d’alimenter et de préciser des modélisations numériques, qui se veulent les plus réalistes possibles, en termes d’échelle mais aussi de ventilation du feu par exemple. Sur ce volet, et afin d’optimiser les mesures, M. Piquette assure que l’envoi d’un drone dans le panache de fumée, pour effectuer des prélèvements in situ, reste la meilleure solution.
Le choix des substances à mesurer et à analyser n’apparaît pas évident. Il repose principalement sur l’état de l’art en toxicologie (la nocivité de certaines substances est reconnue et quantifiée) mais aussi sur les spécificités locales. La définition précise du terme source est une priorité, mais il s’agit d’un exercice difficile, très dépendant de l’accident. Sa caractérisation permet de connaître les éléments impliqués et sous quelle forme ils ont été émis. Connaître la topographie du site concerné et de ses alentours est primordial dans la gestion post-crise, plus particulièrement pour les modélisations de trajectoire de panache, qui doivent tenir compte des spécificités locales. Ce travail est complémentaire des mesures et prélèvements et permet de cibler des zones à risque ou, a contrario, d’en exclure certaines. Avec les moyens actuels, l’INERIS est capable de simuler le comportement du panache sur une dizaine de kilomètres, quelques heures après l’accident, en se fondant notamment sur les premières informations fournies par les pompiers, et plus généralement, les premiers arrivants.
La catastrophe de l’usine AZF à Toulouse en septembre 2001 a été évoquée dans le cadre d’échanges sur les plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Plusieurs intervenants ont recommandé de veiller à limiter l’urbanisation autour des sites industriels. Ces sites, initialement situés à l’écart des grandes agglomérations, finissent par être «rattrapés» par les habitations pour lesquelles ils présentent un risque, comme ce fut le cas pour AZF. Il convient donc de réguler ce phénomène via les PPRT, qui doivent également prendre en compte les grandes modifications de paysage. Le Lieutenant-colonel Libeau a cité l’exemple du futur Grand Paris Express et de ses nombreux tunnels, pour lesquels de nouvelles procédures doivent être imaginées (par exemple les modalités d’intervention des secours à grande profondeur).
Les enjeux en termes de santé publique et de risque sanitaire ont surtout été évoqués lors de la seconde table ronde. Les pompiers, en tant que premiers arrivants, forment une population particulière, soumise à une exposition aigüe. Leurs équipements de protection individuelle (EPI tels que les combinaisons, masques, etc.) assurent une première « barrière de sécurité », complétée par un suivi médical rigoureux. Le suivi des populations s’avère, lui, plus problématique car l’exposition est plus diffuse, dans le temps et dans l’espace. Dans ce cadre, l’ANSES travaille à la définition des polluants les plus dangereux, à rechercher en priorité en cas de crise (dioxine, plomb, amiante, HAP, etc.), en exposition unique ou en co-exposition (exposition simultanée à différents polluants). Si la crise et ses éventuels effets aigus doivent être gérés à court terme, le risque chronique doit être surveillé sur le long terme. Les différents acteurs de la table ronde ont tous insisté sur ce point, sur lequel des efforts doivent être menés. Le risque chronique rejoint le sujet des multi-expositions (i.e exposition multi vectorielle), car si les polluants sont souvent d’abord dispersés dans l’air, ils peuvent ensuite se déposer au sol, puis migrer lentement vers les nappes phréatiques et les sous-sols. Comme l’a rappelé le BRGM, ces processus peuvent s’étaler sur des décennies ; une pollution détectée aujourd’hui peut ainsi résulter d’un accident survenu il y a dix ou vingt ans.
Dans ce contexte, la détermination des valeurs dites « de référence », qui correspondent à l’état du milieu (air, sol, eau) avant la crise, est essentielle. Ces valeurs permettent de mettre en perspective les concentrations mesurées post- accident et d’attribuer, ou non, les éventuelles pollutions à tel ou tel évènement. Pour Véronique Delmas, d’ATMO Normandie, « il n’existe pas, aujourd’hui, pour des polluants comme les dioxines et furanes, de [valeurs de référence] permettant de situer les niveaux rencontrés. Un gros travail est à faire sur ces questions-là ».
En s’appuyant sur les retours d’expérience de l’accident de Lubrizol ou de l’incendie de Notre-Dame de Paris, les intervenants des deux tables rondes ont pu exposer en détail les compétences qu’ils ont acquises dans la gestion de ces crises. Si chacun a développé des activités et des expertises sur des techniques (mesures, modélisations, etc.) ou des milieux (air, eau, sols), ils ont, chacun à sa manière, montré l’importance de l’anticipation et de la coordination des moyens pour gérer efficacement une crise, volet essentiel pour caractériser au mieux un évènement, en évaluer rapidement les éventuelles conséquences sanitaires ou environnementales et en contenir, au mieux, les effets.
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ots/l15b2704_rapport-information.pdf