Au XXIe siècle, la guerre sera forcément imprégnée de digital. La seule question pertinente reste de savoir si cela constitue une révolution stratégique ou si, comme souvent, il n’y aura pas de bouleversement majeur.
Telle est l’accroche d’une note récente de la Fondation pour la Recherche Stratégique. Cette note fait aussi écho à un rapport du ministère des Armées sur le droit international appliqué aux opérations dans le cyberespace.

Pour le Gal (2S) Olivier Kempf, auteur de la note de la FRS, le cyber est aussi l’instrument d’une convergence de luttes dans des champs autrefois distincts. Il y a ainsi de forts liens entre la cyberconflictualité et la guerre économique qui rendent malaisée la juste appréciation du phénomène, pourtant nécessaire pour appréhender une dimension fondamentale de la guerre au XXIe siècle.
Mais est-ce une révolution stratégique ?
Selon l’auteur, une révolution stratégique change les modalités de la guerre et peut imposer de nouvelles règles stratégiques, sans pour autant que la grammaire de base soit annihilée (que celle-ci trouve son inspiration dans Clausewitz ou Sun -Tsu).
Selon ce critère, plusieurs révolutions stratégiques peuvent être identifiées à partir du révélateur de l’énergie. La vapeur est allée de pair avec le moteur correspondant (locomotive, steamer) qui a influé sur les guerres de la deuxième moitié du XIXe siècle (Guerre civile américaine, Guerre de 1870, mobilisation de 1914, etc.). On inventa alors la guerre industrielle et donc la massification du rôle des fantassins. Avec l’essence vint le trio « camion, char & avion », mis au point au cours de la première moitié du XXe siècle (Seconde Guerre mondiale, Guerre de Corée, Guerre des Six jours) : nul besoin d’expliciter son influence durable (et encore perceptible) sur l’ossature blindée-mécanisée de nombreuses armées contemporaines. La détonation nucléaire de 1945 orienta toute la seconde moitié du XXe siècle, avec la dissuasion et la polarisation de la Guerre froide. Il semble qu’avec la donnée, décrite par certains comme l’énergie de l’âge digital, nous faisions face à une nouvelle révolution stratégique qui conditionnera cette première moitié du XXIe siècle.
Cette mise en perspective permet de relativiser le rôle de ces révolutions stratégiques : elles sont indubitablement importantes, mais n’annihilent pas d’un coup les grammaires stratégiques antérieures. Autrement dit, le digital n’abolira pas la dissuasion qui n’a pas aboli pas le char qui n’avait pas aboli le fantassin suréquipé, etc. Ceci précisé, le digital constitue donc bien une révolution stratégique. Il affecte la conduite de la guerre.
La suite de la note examine les liens entre ce cyberespace et la guerre. J’y renvoie le lecteur intéressé de ce blog et souhaite signaler un récent rapport qui précise la position française sur l’application du droit international aux opérations militaires dans le cyberespace.

En l’espace de deux décennies, le cyberespace est devenu un lieu de tension et de confrontation. L’instabilité et l’insécurité liées à l’accroissement des risques et des menaces dans ce milieu, ainsi que l’usage d’Internet à des fins criminelles ou terroristes, fragilisent l’ensemble des démocraties. L’augmentation constante du niveau de sophistication et d’intensité des cyberattaques a conduit ces dernières années la plupart des États à renforcer leur résilience et à adopter des stratégies nationales de cybersécurité.
Dans ce contexte, la France a adopté une position forte en publiant une stratégie nationale de cyberdéfense en février 2018 puis deux documents fondateurs : une instruction ministérielle de lutte informatique défensive et une doctrine de lutte informatique offensive à des fins militaires, qui encadre l’emploi de la cyber-arme.
Cette transparence s’inscrit en cohérence avec sa conception d’un cyberespace libre, sûr, ouvert, stable, fondé sur la confiance et les règles du droit international. Dans la continuité de l’Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace, la France entend ainsi porter une conception et une utilisation du cyberespace conformes aux buts des Nations Unies de maintien de la paix et de la sécurité internationales.
L’instruction ministérielle sur la lutte informatique défensive permet de bâtir une défense unifiée, réactive, spécialisée et cohérente de l’ensemble des moyens numériques du ministère. Autour du Commandant de la cyberdéfense et de la posture permanente de cyberdéfense, elle articule les missions relevant de la protection des installations du ministère face aux menaces cyber, et celles relevant de l’anticipation et de la défense de ces systèmes.
La lutte informatique offensive à des fins militaires élargit la palette des options à la disposition de nos autorités politiques et militaires. Qu’elle soit engagée pour recueillir du renseignement à haute valeur ajoutée, pour mener des opérations de lutte contre la propagande anti-française ou de neutralisation de systèmes adverses, cette nouvelle capacité s’impose graduellement dans les opérations. Voir http://science-innovation-developpement.com/dans-la-cyberguerre-loffensif-nest-plus-tabou/ .
Si la France a déjà eu l’occasion de partager publiquement certains éléments de son interprétation de l’application du droit international dans le cyberespace (via différents documents de stratégie et de doctrine, des contributions et initiatives internationales portées ces dernières années), il lui manquait encore un document de référence abordant de façon transverse les enjeux juridiques et politiques liés à cette question.
Ce rapport vient préciser la position de la France, qui considère que le respect du droit international est la condition nécessaire à l’émergence d’une régulation adaptée au cyberespace. Il vient ainsi conforter l’engage- ment constant de la France en faveur du respect du droit international existant, y compris dans le domaine cyber, et sa volonté de faire preuve d’exemplarité et de transparence dans un contexte international où de nombreux acteurs maintiennent un discours ambigu sur ces sujets.
Sans précédent au niveau international, il met en exergue certaines spécificités de l’approche française, notamment en ce qui concerne les contours du concept de souveraineté dans le cyberespace, le seuil du recours à la force ou d’une agression armée, l’interdiction de faire usage du droit de légitime défense en réaction à la violation par un Etat du principe de diligence due, ou la définition de l’attaque en contexte de conflit armé.
http://www.frstrategie.org/web/documents/publications/notes/2019/201917.pdf
Signalons aussi l’expression de la stratégie du ministère des Armées sur le développement durable et les énergies renouvelables https://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/developpement-durable-et-energies-renouvelables-la-strategie-du-ministere-des-armees .