La France est bien placée en dépenses de R & D mais moins en matière d’innovation. C’est un constat assez largement partagé sur lequel s’est penché l’Académie des Technologies lors d’un séminaire dont la synthèse des résultats est disponible.
Ce rapport est organisé en 4 grandes parties.
- La place de la technologie dans l’innovation : constats et évolutions fondamentales
- Territoire et innovation
- Les acteurs de la dynamique territoriale d’innovation
- Quels éclairages en provenance de l’étranger ?
Le rapport met en avant quelques réflexions « pertinentes et impertinentes ».
- Un constat récurrent : le retard de la France est moins technologique que lié à l’innovation, et à la moindre prise en compte de l’aval.
- Différencier la production de richesses (PIB) des revenus distribués localement permet de mieux comprendre la dynamique des leviers productif, présentiel, résidentiel et le rôle d’amortisseur social des transferts, à l’aide des travaux de Laurent Davezies. L’analyse permet de comprendre comment les régions riches financent les régions pauvres, tant au niveau européen que national.
- Distinguer les territoires attractifs des territoires répulsifs. La dynamique entrepreneuriale locale et la qualité de vie sur le territoire sont cruciales pour expliquer cette attractivité.
- La métropolisation est-elle un mythe aussi dangereux que la taille critique pour les entreprises ? Si le débat n’est pas tranché, les travaux ont montré le caractère réducteur de la métropolarisation, à savoir des politiques qui voient dans la métropole une panacée, alors que les métropoles connaissent des dynamiques très différentes et qu’il y a des développements dans certaines périphéries.
Les travaux sont partis du constat que la France est bien placée en dépenses de R & D mais moins en matière d’innovation.
Le tableau de bord européen de l’innovation 2018 accorde un 9èmerang à la France, avec une performance proche de la moyenne de l’Union européenne, et ce sans changement notable depuis 2010. L’explication provient d’un problème d’efficacité des processus d’innovation, et non d’un déficit de moyens consacrés à l’innovation en matière de dépenses de R & D ou de capital humain (la France se classant entre la 5èmeet la 9èmeplace sur les indicateurs de moyens).
Les dificultés résident alors moins dans la présence de ressources de qualité et dans la production scientifique que dans les dificultés rencontrées à pousser à son terme le processus d’innovation. Plusieurs aspects sont à souligner ici :
- l’innovation n’est que secondairement technologique. Les innovations sont, en effet, multiples : de rupture ou incrémentales, il est généralement admis que 20 % des innovations sont de source technique et 80 % de nature sociale, organisationnelle, commerciale, marketing ou financière (Godet, 2010). Les innovations reposent ainsi souvent sur la capacité à repenser des modèles économiques (business models), des activités économiques et sociales et des relations entre acteurs de la chaîne de valeur (par exemple ubérisation), plus que sur de seuls grands projets techniques. Innover nécessite d’être créatif et d’inventer mais, plus encore, d’aller en aval de la chaîne de valeur, en intégrant le design, le marketing et l’expérience utilisateur, seul et, surtout, en réseau. Pour cela, les capacités managériales et entrepreneuriales sont essentielles. Comment les stimuler ?
- mailler les acteurs et renforcer la valorisation. Plus que jamais l’innovation requiert la coopération entre les institutions de recherche et de formation, entreprises et autres acteurs locaux. Des actions nombreuses ont été entreprises, tant pour valoriser la recherche publique (incubateur Allègre, 1999, Instituts Carnot, 2006, Sociétés d’accélération du transfert de technologie, 2010, plateformes régionales de transfert de technologie, 2013) et mieux connecter acteurs privés et publics (pôles de compétitivité, 2004, IRT/ITE, 2010). Les évaluations soulignent que les résultats sont favorables lorsque les dispositifs prennent appui sur des dynamiques préexistantes (exemple de Grenoble), et tiennent compte de la nécessité d’œuvrer à long terme.
- créer et faire croître. L’innovation peut être concrétisée par des activités nouvelles au sein des entreprises existantes, mais aussi par de l’essaimage (spin-off ) et la création d’entreprises innovantes (start-up).
La France est désormais vantée pour être sur le podium mondial des grandes entreprises dépositaires de brevets (enquêtes Top 100 Thomson-Reuters), mais – malgré des progrès – la situation est en retrait pour le reste du tissu productif : manque de champions de taille intermédiaire et des PME encore à stimuler malgré l’impact des pôles de compétitivité.
La création de spin-o à partir d’innovations non stratégiques pour les grandes entreprises est toujours en retrait et, plus encore, la di culté est désormais de permettre la croissance des entreprises innovantes. En effet, alors que la France apparaît désormais comme un acteur important pour la création d’entreprises innovantes, celles-ci demeurent de petite taille (2 à 3 salariés). Trop peu de licornes, c’est-à-dire les entreprises de moins de 10 ans dont la valorisation dépasse le milliard de dollars, sont françaises. Est-ce gênant ? Non, si les innovations des start-upcontribuent à de la création d’activité en France. Oui si les start-upfinalisent leur développement à l’étranger… Permettre le développement des spin-o etstart-up en France est alors aussi important que de susciter leur création
L’Académie des Technologies fournit quelques pistes pour améliorer l’efficacité du système français d’innovation.
La dimension territoriale est centrale
L’innovation repose sur la capacité des acteurs locaux – des écosystèmes – à se mobiliser pour construire des projets innovants. Stimuler l’énergie des entrepreneurs est essentiel mais, pour cela, construire des coopérations entre les acteurs locaux – collectivités, entreprises, centres de recherche et de formation – est non moins crucial. En outre, l’accent sur la Région est renforcé par les réformes nationales (réformes des CCI, loi NOTRe de 2015) et les politiques européennes (Smart Specialization Strategy).
Métropolisation (une tendance) ou métropolarisation (une vision plus idéologique qui en fait une fatalité) ?
Les métropoles, ces aires urbaines de plus de 500 000 habitants constituent des acteurs essentiels des régions. Or les dernières années ont connu un phénomène nouveau : la métropolisation croissante des activités. L’aire urbaine de Paris et la douzaine de ces aires urbaines régionales connaissent à la fois une croissance plus forte de leurs activités, et comptent plus d’emplois à potentiel que le reste des territoires (cadres, ingénieurs, etc. sont à 61 % localisés dans ces métropoles). S’interroger sur le rôle des métropoles dans les dynamiques d’innovation est alors nécessaire. Cependant, une analyse précise soulève des interrogations multiples sur la métropolarisation, vue comme une tendance homogène et inéluctable. D’une part, des disparités fortes sont présentes entre les métropoles : elles diffèrent par leurs spécialisations, mais aussi en termes de performance ! Occitanie ou Nouvelle Aquitaine contrastent ainsi fortement avec la Normandie, le Grand Est ou les Hauts de France, moins dynamiques. D’autre part, les relations au sein des métropoles, entre centre et périphérie, sont diverses. Au-delà d’une homogénéité imaginée entre les métropoles, les trajectoires divergent : certains territoires, à la périphérie ou à l’extérieur des métropoles, maintiennent un dynamisme notable (exemple de la Vendée ou du Bressuirais). Comprendre la façon de créer ou de stimuler les territoires innovants est alors nécessaire.
Quatre acteurs et initiatives qui sont cruciaux dans cette dynamique :
Les pôles de compétitivité :
- plus de 10 ans après leur création, les 67 pôles de compétitivité semblent désormais faire la preuve de leur impact sur les dépenses de R & D, et avoir un effet positif sur les PME qui s’y a lient. L’enjeu du passage au marché est désormais en première ligne.
Les chambres de commerce et d’industrie :
- acteurs centraux du développement économique local, les 150 établissements qui forment le réseau des CCI ont connu à la fois une réforme de leur financement et de leur fonctionnement. Elles apparaissent plus que jamais comme le go between entre les différentes entités du tissu économique, les accompagnateurs des entreprises locales, tout en ayant une activité de formation notable (620 000 personnes formées chaque année par leurs 500 établissements de formation).
Les universités et des écoles d’ingénieurs :
- depuis la loi Allègre et la loi Pécresse sur l’autonomie des universités, le système français d’enseignement supérieur est engagé dans le développement des activités de valorisation de la recherche, tout en connaissant des refontes et réformes régulières (fusions, communautés d’établissements COMUE) .
Le système de formation professionnelle :
- essentiel à la fois pour les salariés, conduits à se former tout au long de la vie, et pour les entreprises, en quête de compétences. Ce système de formation professionnelle est au cœur de réformes qui conduisent à penser son articulation aux besoins régionaux de formation.
Enfin, le dernier chapitre a permis de situer les travaux conduits dans une perspective internationale, en soulignant, d’une part, combien les dynamiques de création de richesse et de répartition des revenus identifiées au niveau français, sont également présentes au niveau européen et, d’autre part, en montrant comment la Flandre a été en mesure de renforcer sa dynamique territoriale d’innovation ces dix dernières années.