Budget de l’Etat et climat
Le vote du budget de l’État est un moment clé pour la lutte contre le dérèglement climatique. L’État lève chaque année en France plusieurs centaines de milliards d’impôts divers – environ un quart du PIB national – et en dépense mécaniquement autant, voire un peu plus. Mettre le budget et la fiscalité en cohérence avec l’objectif national de neutralité carbone, c’est donc faire un énorme pas en avant dans la lutte nationale contre le dérèglement climatique. Mais le chantier est vaste. Améliorer les aides aux ménages pour la transition bas carbone, réformer les niches fiscales sur les carburants, verdir la fiscalité… Il ne s’agit plus de se limiter aux quelques mesures phares, aussi importantes soient-elles, sur lesquelles le débat politique a tendance à se concentrer, à l’image de la taxe carbone ou de l’exonération pour le kérosène des avions. Il faut connaitre, et reconnaître, l’ensemble des mesures budgétaires qui ont une influence sur les émissions de gaz à effet de serre de la France.
Telle est l’introduction d’une étude de l’I4CE visant à analyser tout le budget français au prisme de ses impacts sur le climat.

L’Institut de l’Économie pour le Climat est un think tank qui fournit aux décideurs publics et privés une expertise sur les questions économiques et financières liées à la transition énergétique et écologique. Il vise à contribuer à mettre en œuvre l’Accord de Paris, et à rendre au niveau mondial les flux financiers compatibles avec un développement faiblement carboné et résilient au changement climatique. L’I4CE a été fondé par la Caisse des Dépôts et l’Agence Française de Développement, et est par ailleurs soutenu par la Caisse de Dépôts et Gestion Maroc.
L’I4CE propose donc une évaluation climat à 360° du budget de l’État, hors sécurité sociale dont les principales conclusions sont reprises ci-dessous.
Plus de 250 mesures budgétaires sont identifiées ; dépenses, niches fiscales, impôts, toutes ont une influence significative, à la hausse ou à la baisse, sur les émissions nationales de gaz à effet de serre. Certaines d’entre elles sont directement issues des efforts de l’État pour réduire les émissions, et ont été créées dans ce but ; cependant, pour la plus grande part, il s’agit de mesures visant initialement un autre objectif principal, ce qui rend d’autant plus nécessaire l’identification de leur effet sur le climat.
I4CE a également identifié des mesures pour lesquelles, faute de données, il est difficile d’apprécier l’impact sur le climat. C’est par exemple le cas du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ou du crédit d’impôt pour la recherche (CIR), qui représentent à eux seuls 25 milliards d’euros. Le chiffre de 250 mesures est donc une fourchette basse.

20 milliards d’euros pour financer la transition bas-carbone
A travers son budget, l’État dépense 17 milliards d’euros pour financer la transition bas carbone, auxquels s’ajoutent 3 milliards sous forme de niches fiscales. La majorité de cet argent permet de soutenir la rénovation énergétique des bâtiments, le développement des énergies renouvelables ou des mobilités durables ou la recherche sur la lutte contre le réchauffement climatique.
20 milliards, est-ce suffisant ? Probablement pas, si l’on en croit l’édition 2019 du Panorama des financements climat d’I4CE : avec leur modèle actuel de financement de la transition, les pouvoirs publics dans leur ensemble devront mobiliser annuellement 7 à 9 milliards d’euros supplémentaires d’ici la fin du quinquennat. Et ce chiffre ne concerne que la seule composante « investissement » des dépenses publiques. L’État devra donc consacrer davantage de moyens à la lutte contre le dérèglement climatique. Par ailleurs, il ne faut pas seulement faire plus, il faut aussi faire mieux ; au-delà des seuls montants financiers, l’efficacité des divers dispositifs d’incitation publique doit être constamment interrogée et réévaluée au regard des objectifs climatiques nationaux.
17 milliards de dépenses défavorables au climat
De nombreux secteurs bénéficient de taux réduits de taxe sur les énergies fossiles et ces niches fiscales ne sont pas toujours justifiées ou évaluées. On estime à 16 milliards la somme des dépenses fiscales défavorables au climat. A elles seules, quatre niches impliquent que 25 % des émissions françaises sont peu ou pas taxées : l’exonération sur le kérosène des avions, les taux réduits pour les poids lourds, pour le gazole non routier, et pour le gazole routier par rapport à l’essence.
Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et répondre au sentiment d’injustice sur la taxation de l’énergie en France, ces niches devront être progressivement réformées. Une question doit dès lors être résolue : comment aider différemment les secteurs et les ménages vulnérables, sans avoir recours à des exonérations de taxe sur les énergies fossiles ?
Outre les niches fiscales, l’État dépense directement un milliard d’euros pour des actions qui augmentent les émissions de gaz à effet de serre. Ce sont avant tout des dépenses de fonctionnement : l’État est un consommateur, entre autres, de carburants. Comme les ménages et les entreprises, il va devoir faire sa transition. C’est un enjeu d’exemplarité et une nécessité pour atteindre la neutralité carbone. Cette transition prendra du temps : l’armée ne trouvera pas du jour au lendemain des alternatives au kérosène pour ses avions. Mais comme les autres, l’État devra réduire drastiquement ses propres émissions de gaz à effet de serre, et donc ses dépenses de fonctionnement défavorables au climat. Certaines de ces dépenses sont présentées ici, mais elles sont très probablement sous- évaluées du fait d’un manque de données disponibles.
10 milliards d’euros d’impôts au nom du climat
Les recettes de la « taxe carbone » – ou plus précisément de la composante carbone des différentes taxes sur les énergies fossiles – sont d’environ 8 milliards par an. A cela s’ajoutent d’autres impôts dont les taux sont totalement ou partiellement indexés sur les émissions de carbone. En tout, les impôts prélevés au nom du climat génèrent de l’ordre de 10 milliards de recettes.
Cependant, pour avoir une vision globale de la fiscalité de l’État qui incite à la réduction des émissions, il faut aussi prendre en compte de nombreux autres impôts : créés avec d’autres intentions que le climat, en premier lieu pour augmenter les recettes fiscales, ils sont néanmoins une incitation à réduire les émissions, à l’image de la taxation des carburants. Ces impôts sont favorables au climat eux aussi, et leurs recettes sont estimées à 33 milliards. Au total, il y a donc 43 milliards d’impôts qui incitent à réduire les émissions. Cela représente 7 % des impôts en France, hors cotisations sociales. Ces 43 milliards vont pour une moitié au budget général de l’État, le reste va aux collectivités locales ou à des comptes d’affectation spéciale et des opérateurs de l’État qui soutiennent la transition bas carbone.
Notons ici une particularité des impôts en France sur les transports routiers. Moins de 10 % de la fiscalité pèse sur l’achat du véhicule, le reste portant sur son utilisation, surtout via la taxation des carburants. L’État dissuade donc peu l’achat de voitures gourmandes en carburant, puis taxe leur utilisation. Un rééquilibrage semble nécessaire pour éviter de créer des « prisonniers énergétiques » dans le secteur des transports.
https://www.i4ce.org/wp-core/wp-content/uploads/2019/09/I4CE-Etude-EvalClimat360%C2%B0BudgetEtat.pdf