La commission d’enquête sénatoriale « sur la réalité du détournement du crédit d’impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l’emploi et de la recherche dans notre pays » (sic), créée à l’initiative du groupe communiste et présidée par le sénateur Francis Delattre (Les Républicains, Val-d’Oise) vient de rejeter le projet de rapport final de ses travaux, présenté par la sénatrice communiste Brigitte Gonthier-Maurin (Hauts-de-Seine).
En réagissant en mars dernier à un article publié par le quotidien L’Opinion, s’inquiétant que cette commission d’enquête contribue à faire du CIR une arme d’attractivité massive en danger permanent, le président de la commission, Francis Delattre avait déjà fait une mise au point. Si la commission a été créée à l’initiative du groupe communiste, cela ne veut pas dire que l’activisme de ce groupe reflète l’opinion majoritaire de la commission, bien au contraire. (…) Dans ces conditions, on ne peut parler de défiance parlementaire vis-à-vis du CIR, qu’il convient néanmoins de protéger de tous les abus inhérents à un avantage fiscal qui pèse aujourd’hui 5,5 milliards d’euros. Je ne doute pas que le rapport final de la commission d’enquête établira un diagnostic objectif qui devrait rassurer sur la pérennité du CIR. (…) Mais sa sanctuarisation ne veut pas pour autant dire qu’aucune évaluation des coûts et avantages par le Parlement soit illégitime.
Justifiant le rejet du projet de rapport final, Francis Delattre estime que le rapport de fond ne peut ignorer le contenu des auditions favorables au dispositif. Il assure que ces auditions ont été systématiquement altérées, soit par des statistiques venues d’ailleurs, soit par des commentaires hostiles émanant de groupements minoritaires. Quant aux allégations d’un impact insuffisant du CIR sur l’emploi, nous observons que 35 000 emplois de chercheurs ont été créés depuis la dernière grande réforme du CIR, soit une augmentation de 27 % depuis, et que cette irrigation nouvelle dans des milliers d’entreprises favorise l’émergence de projets nouveaux, eux-mêmes porteurs d’emplois.
Nous sommes convaincus, à l’issue de six mois de travail sérieux et objectif, de l’utilité du CIR pour l’attractivité de notre économie et pour lutter à armes égales avec la concurrence européenne et internationale, indique Francis Delattre. Alors que le gouvernement présentait des mesures d’urgence pour améliorer la situation des PME et des PMI, il aurait été contre-productif d’adopter un rapport sénatorial remettant en cause les 2 milliards de crédits dont disposent, au titre de la R&D, les mêmes entreprises.
Pour sa part, le PCF condamne sans réserve l’attitude des sénateurs LR, UDI et PS qui, au mépris de toute déontologie, ont cru devoir rejeter un rapport présentant des pistes pourtant consensuelles pour renforcer l’évaluation du crédit impôt recherche et tracer la voie d’autres dispositions pour que les PME puissent participer effectivement à l’effort de recherche, et débarrasser ce dispositif pervers et opaque de son caractère parasitaire. Le PCF continuera sans relâche son action pour une fiscalité socialement juste et débarrassée des largesses inadmissibles vis-à-vis de la boulimie financière des grands groupes (re-sic).
http://www.senat.fr/commission/enquete/detournement_du_credit_dimpot_recherche.html
De son coté, l’Afdel (L’Association Française des Éditeurs de Logiciels et Solutions Internet) dit se réjouir du rejet par la majorité des sénateurs de la commission d’enquête sur le CIR d’un projet de rapport rédigé à charge contre le dispositif CIR par la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin. Cette dernière, de l’avis même des membres de la commission, n’a visiblement prêté que peu d’attention aux données chiffrées et au point de vue des entreprises relayés par l’Afdel et ses adhérents présents.
L’Afdel souligne que la majorité de la commission d’enquête a entendu les messages principaux, à savoir le rappel du caractère essentiel du CIR pour les investissements R&D et la création d’emplois dans le secteur numérique en France et l’importance de la stabilité et de la lisibilité du CIR pour fiabiliser son effet incitatif. L’association rappelle que le dispositif pourrait être amélioré via un meilleur dialogue lors de l’évaluation de l’éligibilité dans le cadre des contrôles, avec des expériences disparates selon les entreprises mais parfois extrêmement difficiles pour les chefs d’entreprise.
Sur le fond, cette commission avait poursuivi ses auditions. Pour Dominique Thormann, directeur financier du groupe Renault, alors que le coût de la recherche française est le 2ème plus élevé au monde après les États-Unis, le CIR améliore la compétitivité de la R&D française en ramenant le coût des personnels de recherche dans un peloton où la France ne se situerait pas très loin du Royaume-Uni et assez près de l’Italie ou du Brésil.
Le groupe, 10ème constructeur automobile mondial, dispose de 5 centres de R&D dans le monde et a fait le choix de maintenir et faire prospérer en France 75 % de sa R&D. dans laquelle il a investi 2,03 Md€ en 2014 dont 1,5 Md€ en France, touchant pour la même année 143 M€ de CIR. Renault a investi en 2014 2,03 Md€ pour la R&D, dont 1,5 Md€ en France. Sur ce montant, 777 M€ étaient éligibles au CIR, dont le montant s’est élevé à 143 M€… lequel n’est pas détourné de son objet.
Que la recherche se fasse en France ou ailleurs n’est pas déterminant dans la décision de mener à bien un projet : la recherche, ce sont des ingénieurs, éventuellement des prototypes, et rien de plus. Vous pouvez la faire n’importe où dans le monde. En France, nous n’avons pas le monopole du savoir-faire. Il y a néanmoins en recherche fondamentale un effet de masse critique et d’expérience en France.
Pour Dominique Thormann, le CIR est un dispositif important pour le groupe Renault mais aussi pour la recherche en France.
Le CIR a permis à Renault d’être bien placé dans la course mondiale à l’innovation et de ne fermer aucun site en France, contrairement à d’autres constructeurs automobiles également bénéficiaires du CIR, et de créer des emplois en France… 2 000 recrutements en France dès 2015 dont 1 000 CDI et dont 500 personnes pour la R&D, et 1 000 contrats d’apprentissage. L’intégralité de la PI de Renault est maintenue en France, soit 608 brevets déposés en France en 2014.
Il est faux d’affirmer que depuis 2008, les dépenses de R&D de Renault n’ont cessé de baisser tandis que le CIR augmentait : la R&D des entités de Renault varie au gré de l’intensité et des pics de l’activité de R&D ; les dépenses éligibles au CIR suivent la même courbe et ont globalement augmenté de 8,3 % depuis 2008.
De son coté, la Cour des comptes recommande d’accélérer la production des données d’exécution relatives au CIR, affiner leur analyse et poursuivre, sur données postérieures à 2009, les études d’impact sur le CIR dans sa note d’analyse de l’exécution budgétaire 2014 de la Mires, publiée mercredi 27 mai 2015. La note souligne l’amélioration induite, dans les PLF 2013 et 2014, par la présentation d’une prévision plus réaliste, répondant à la préoccupation soulevée dans le rapport de synthèse.
Au vu de l’exécution du budget 2014, elle estime que, compte tenu de l’importance de cette dépense fiscale, l’exercice de prévision demeure insatisfaisant. Pour y remédier, elle pense que l’accélération de la production des données d’exécution, en particulier à travers la dématérialisation de la déclaration du CIR, qui devrait être effective à compter de 2015, demeure une priorité.
La Cour des comptes estime que l’efficacité du CIR au regard de son objectif principal, l’augmentation de la dépense de recherche et développement des entreprises, reste difficile à établir. Elle relève que, comme en 2013, aucune évaluation […] n’a concerné le CIR en 2014.
Deux études ont néanmoins été finalisées, précise la Cour, dont un rapport publié par le MENESR qui, sur la base en particulier d’études économétriques dont les résultats doivent être considérés avec prudence, conclut à un effet d’additionnalité du CIR sur les dépenses de R&D des entreprises.
Le bilan de l’évolution connue par la Dirde (dépense intérieure de recherche et développement des entreprises) apparaît contrasté… Si l’intensité en R&D des entreprises est dynamique, elle est compensée par l’évolution de la structure de production, en particulier la baisse de la part des secteurs de production de biens manufacturés, structurellement plus intenses en R&D, dans la valeur ajoutée. Cette situation appelle la mise en place d’indicateurs d’impact plus fins que ceux actuellement utilisés pour mesurer l’effet du CIR.
Contrairement à l’année précédente, aucun dépassement n’a été constaté sur le dispositif ‘jeunes entreprises innovantes’. Sur l’exercice 2013, la Cour avait en effet observé que le dispositif JEI faisait l’objet d’une dotation initiale insuffisante au regard de l’exécution. L’exécution 2014 s’est avérée légèrement inférieure à la prévision, contrairement à la crainte d’insoutenabilité soulevée par le CBCM (contrôleur budgétaire et comptable ministériel) en début d’année.
https://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Le-budget-de-l-Etat-en-2014-resultats-et-gestion
Pour l’ANRT (Agence Nationale de la Recherche et de la Technologie), le CIR n’est pas un avantage fiscal, mais une remise à niveau ciblée et ce dispositif aide les grandes entreprises à rester françaises.
La justification première du crédit impôt recherche est de compenser le handicap des entreprises françaises, qui supportent davantage de charges que leurs principaux concurrents étrangers. La décision de localiser des activités de R&D en France plutôt qu’en Grande-Bretagne ou en Allemagne, tous pays de technicité équivalente, est prise grâce au CIR.
Les discussions sur le crédit d’impôt recherche qui se développent en marge des auditions organisées par le Sénat se concentrent sur des soupçons, en particulier les avantages que les grandes entreprises tireraient du CIR sans profit pour la collectivité. Les arguments simplifient une réalité complexe, sans éviter de la tirer dans le sens qui leur convient.
Les grandes entreprises, dont la France compte un nombre remarquable, sont internationales : elles font de la recherche dans plusieurs pays, et elles sont plus capables que des entreprises moyennes ou petites de déplacer leurs forces d’un pays à l’autre. L’ANRT indique aussi dans cette note que ses deux présidents, Denis Ranque et Louis Gallois, dans les entreprises qu’ils ont dirigées, la décision de localiser des activités de R&D en France plutôt qu’en Grande-Bretagne ou en Allemagne, tous pays de technicité équivalente, a été prise grâce au CIR. La localisation des forces principales de R&D, c’est en quelque sorte celle du cerveau de l’entreprise : c’est là que l’on conçoit les installations, les procédés et les produits qui préparent l’avenir. Et dans un paysage mondialisé, cette localisation, c’est le marqueur de la nationalité d’une entreprise.
Pour l’ANRT, dans le cadre des discussions (qui se concentrent sur des soupçons) sur l’intérêt du CIR, opposer les grandes et les petites entreprises revient à méconnaître la réalité des relations entre les entreprises et la nécessité de constituer des écosystèmes internationalement attractifs. Les grandes entreprises en sont les pivots. Sans elles, sans leurs relations avec leurs fournisseurs et avec les laboratoires publics, l’activité du système français de recherche et d’innovation serait réduite. En l’absence d’écosystème fort, les start-up qui sont une partie de l’avenir ne pourront être fixées en France… Un des grands mérites du CIR est, qu’en raison de sa neutralité, il est favorable à tous les acteurs des écosystèmes.
Voir aussi :
Ne faut-il pas orienter le CIR sur des actions davantage ciblées sur la recherche ?